Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode
du podcast de l'OIT sur l'avenir du travail.
Nous abordons, ici, toutes les questions clés liées au monde
du travail et notamment les profondes mutations
qu'il est en train de connaître.
Je m'appelle Guebray Berhane,
je travaille pour l'Organisation internationale du travail,
ici, à Genève.
Aujourd'hui, nous allons traiter de la santé mentale au travail
et des risques psychosociaux au travail.
[musique]
Chaque année, le 10 octobre, nous célébrons la Journée mondiale
de la santé mentale.
Cette année, l'Organisation mondiale de la santé
et l'Organisation internationale du travail ont tiré la sonnette d'alarme
en appelant à des mesures concrètes pour répondre aux problèmes
de santé mentale.
On estime que 12 milliards de journées de travail sont perdues chaque année
pour cause de dépression ou d'anxiété, ce qui coûte près de 1 000 milliards
de dollars à l'économie mondiale.
Il y a également, et malheureusement, les dizaines,
voire les centaines de milliers de personnes qui mettent fin
à leurs jours, et d'autres, plus nombreuses encore,
qui font une tentative de suicide.
On a coutume de dire que sans santé mentale et sans bien-être,
il n'y a pas de vraie santé.
Que faire ?
Quels sont les risques psychosociaux qui y sont associés ?
Quelles sont les solutions concrètes ?
Pour répondre à ces questions, nous avons le plaisir
d'accueillir docteure Nina Tarhouny,
spécialiste en prévention organisationnelle
des risques psychosociaux et amélioration des conditions de travail.
Vous exercez en qualité d'experte indépendante
auprès des entreprises et institutions en France et à l'international.
Vous intervenez également sur les questions de harcèlement moral,
harcèlement sexuel, discrimination et conditions de travail.
Vous êtes enfin chargée d'enseignement à l'université de Paris 13.
Docteure Nina Tarhouny, merci de prendre part à ce podcast.
-Merci à vous.
Je vous remercie pour votre invitation et je suis ravie de partager
ce petit moment avec vous.
-Merci.
D'entrée de jeu, je voudrais vous poser la première question,
qui a trait aux risques psychosociaux.
Comment sont-ils définis ?
On parle de risques pour la santé physique et mentale des travailleurs.
Est-ce que vous pourriez élaborer un peu plus sur cette définition,
en la liant peut-être avec la santé mentale ?
-Tout d'abord, je dois dire que l'expression
« risques psychosociaux »
peuvent être définis comme des risques
socio-organisationnels,
dans la mesure où il s'agit
de défaillances de l'organisation du travail,
la plupart du temps, qui a un impact négatif
sur la santé des travailleurs.
Ce sont donc des risques pour la santé mentale,
mais aussi physiques et social, qui sont issus
de dysfonctionnements organisationnels et humains.
Ils peuvent, à ce titre, impacter l'individu à plusieurs niveaux
et créer différentes conséquences sur la santé mentale,
telles que la détresse psychique, la dépression, la tristesse, le burn-out ,
l'anxiété et toute forme de mal-être et de souffrance au travail.
-Ça, [ ?] de citer vraiment des exemples très concrets.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, le travail amplifie,
comme vous venez de dire, les problèmes sociétaux plus larges,
avec un impact négatif sur la santé mentale.
On cite, notamment, la discrimination, l'inégalité.
L'intimidation et la violence psychologique sont aussi
les principales plaintes liées au harcèlement au travail,
avec un impact négatif sur la santé mentale.
Comment peut-on réagir face à cette détresse ?
-Il est vrai que le harcèlement moral au travail est souvent l'objet de plaintes
dans les organisations, et plus particulièrement
dans certains pays, parce qu'une législation spécifique
est créée pour lutter contre le harcèlement moral au travail,
au même titre, en France, que la discrimination
ou le harcèlement sexuel.
Face à des situations de détresse qui sont liées au harcèlement moral,
en France,
les entreprises ont l'obligation de prévenir le harcèlement moral.
À la suite d'une plainte, il va s'agir de réaliser une enquête
qui va pouvoir faire la lumière sur les faits
qui se sont produits et qui ont eu un impact sur la santé, ou sur les droits,
ou sur la dignité de la personne, et qui sont susceptibles d'entrer
dans la définition du harcèlement moral.
C'est vrai qu'il y a une tolérance zéro à l'égard des agissements
qui sont susceptibles de relever du harcèlement moral dans la mesure où,
en droit français,
le Code du travail nous dit que l'auteur de tels faits est susceptible d'encourir
une sanction.
Ce qu'il faut prendre en compte aussi, c'est que l'organisation
du travail a aussi un rôle à jouer et qu'il ne s'agit pas toujours,
uniquement,
de relations interpersonnelles défaillantes,
mais d'une organisation du travail
qui va créer des agissements de la part d'individus
et qui vont être susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral.
Bien entendu, quand une personne est en souffrance
ou en mal être psychologique à la suite d'une exposition au harcèlement moral,
plusieurs acteurs peuvent la soutenir, notamment,
la médecine du travail, l'inspection du travail,
mais aussi les représentants du personnel,
le préventeur dans l'entreprise, lorsqu'il y en a.
Il existe toute une pléthore d'acteurs qui sont susceptibles d'agir
pour ne pas laisser seule la personne, qui est en situation de fragilisation
du fait de ses conditions de travail.
-Vous avez parlé de harcèlement moral et je voudrais revenir un peu là-dessus.
On a tendance à percevoir le harcèlement moral
comme une relation toxique entre deux individus.
Est-ce qu'il n'y a pas aussi d'autres facteurs qui y contribuent ?
-Oui, il y a d'autres facteurs
qui y contribuent, parce que, comme j'avais commencé un petit peu
à vous expliquer, le harcèlement moral n'est pas toujours
le fait d'une relation interpersonnelle, c'est-à-dire qui est dégradée
entre deux personnes.
Il y a un certain nombre de facteurs, qu'en France,
on a identifiés dès 2011 et qui représentent six familles
de facteurs de risques psychosociaux, qui sont : l'intensité du travail
et le temps de travail, les exigences émotionnelles, l'autonomie,
les rapports sociaux, les conflits de valeurs et l'insécurité
de la situation de travail.
Pour être un peu plus précise et vous donner un exemple,
lorsqu’une personne se retrouve
en situation d'insécurité de sa situation de travail,
c'est-à-dire qu'elle ne sait pas si elle va conserver son emploi,
par exemple lorsqu'il y a de potentielles réorganisations,
des plans sociaux, des fermetures d'établissement,
deux personnes qui ont le même poste peuvent se retrouver,
de cette manière,
en concurrence si l'entreprise ne communique pas suffisamment
sur les postes qui sont susceptibles d'être disponibles à la suite
d'une réorganisation.
Cette concurrence va créer
une certaine animosité entre les personnes,
du fait qu'elles souhaitent conserver leur emploi,
se montrer sur leurs meilleurs jours et parfois,
par exemple, ne pas inviter le collègue
à certaines réunions ou ne pas lui donner les informations nécessaires
pour réaliser correctement son travail.
Là, on va se retrouver dans une situation
de harcèlement moral par effet.
C'est-à-dire qu'en France, on distingue le harcèlement moral
par objet, l'objectif est de harceler la personne,
du harcèlement moral par effet.
C'est-à-dire que les effets de l'organisation du travail vont créer
des agissements susceptibles d'impacter autrui et de créer
une situation de harcèlement moral
à son encontre.
Si je prends un autre exemple aussi, en termes de justice organisationnelle,
quand on retrouve une injustice, par exemple,
au niveau de la charge de travail, avec un collègue qui a une énorme charge
de travail et un autre qui a une charge de travail plus raisonnable,
il peut surgir des conflits, notamment, par exemple,
de la personne qui est en surcharge de travail et qui n'a pas la possibilité
ou le temps de répondre correctement en donnant
toutes les informations nécessaires au travail et d'être impliquée,
notamment quand il s'agit d'un manager, d'être suffisamment impliqué et présent
auprès de ses équipes pour les soutenir,
les aider et les amener à être performants au quotidien.
Tous ces facteurs de risque sur lesquels l'entreprise doit travailler
sont susceptibles de créer du harcèlement moral.
Ce n'est pas seulement des questions interpersonnelles,
des questions de violence uniquement entre deux individus.
C'est là où il est important de rechercher quelles sont les causes
qui ont généré cette situation de harcèlement moral, même si,
de prime abord, elles concernent quelques individus.
-Merci d'avoir fait cette mise en situation
et puis de nous avoir donné ces exemples concrets.
Puisqu'on parle de concret, je voudrais vous demander quelles sont
les bonnes pratiques que les entreprises, les organisations internationales,
les associations, peuvent mettre en place
pour prévenir une détérioration
au niveau de la santé mentale ?
-L'OMS recommande de former les dirigeants à la santé mentale et je suis absolument
d'accord avec cet état de fait.
Je suis souvent confrontée, en fait, à des entreprises dans lesquelles
les dirigeants n'ont pas les notions de base sur la santé mentale
et le bien être au travail.
Justement, cette formation des dirigeants
leur permettrait, à mon sens, de mieux comprendre les répercussions
de l'organisation du travail sur la santé mentale et les atteintes
à la santé de manière plus globale,
de façon à ce qu'ils créent une organisation qui soit saine et sereine
pour l'ensemble des individus.
Il me semble, aussi, nécessaire qu'il existe, en interne,
dans les entreprises, des relais spécifiques et identifiés
pour lutter contre le harcèlement moral et plus généralement
contre les risques psychosociaux.
Il peut y avoir des préventeurs dans l'entreprise ou les directions
des ressources humaines, qui sont également habilités
à agir en la matière.
Parfois, ils ne sont pas, aussi, suffisamment formés, parce que les risques
pour la santé mentale sont un peu moins connus, encore,
que les risques pour la santé physique.
En ce qui concerne les organisations internationales,
puisque vous m'avez posé la question, je connais assez bien les travaux
de l'OIT ; il y a deux applications qui sont très bien réalisées sur le sujet
du stress au travail et de l'ergonomie au travail.
C'est vrai que donner les outils, que ce soit au niveau
des organisations internationales ou des organisations nationales,
donner des outils concrets de manière
à ce que les entreprises puissent s'approprier
la prévention et mettre en place une démarche de prévention
des risques psychosociaux est, à mon sens, absolument primordial.
-À l’OIT, on parle aussi de culture
de prévention autour de la santé mentale au travail.
On parle de remodeler l'environnement du travail pour mettre fin, notamment,
à la stigmatisation, à l'exclusion sociale
et faire en sorte aussi que le staff , les employés souffrant de troubles mentaux
se sentent protégés et soutenus.
Est-ce que vous pensez que c'est ça l'avenir ?
C'est comme ça qu'on devrait travailler ?
-En fait, l'organisation du travail
et les entreprises doivent être inclusives aujourd'hui.
Chacun a ses particularités et certaines personnes ont
des troubles psychologiques chroniques, d'autres personnes ont
des troubles psychologiques ponctuels,
parce qu'ils sont exposés à des situations difficiles, compliquées,
qu'elles soient professionnelles ou personnelles.
Le monde de l'entreprise doit être inclusif
et respecter
l'être humain, y compris au travail.
À mon sens,
oui, l'avenir du travail doit aussi prendre
en compte l'être humain dans toute sa pluralité
et dans toute sa globalité,
de manière à ce que les organisations soient
un lieu sain et protecteur de la santé au travail.
-Au niveau de la législation, si je vous emmène sur ce terrain-là,
vous savez aussi que près de 20 États membres de l'OIT
ont ratifié la Convention 190 sur la violence et le harcèlement.
La France est en voie de le faire, nous l'espérons.
Je voudrais juste votre avis d'experte : est-ce que vous pensez
que cette ratification pourrait apporter
quelque chose de nouveau et, peut-être, de beaucoup plus saisissant
à la législation déjà existante dans le pays ?
-Oui. En ce qui concerne le droit français,
j'identifie deux principaux axes d'amélioration
de la législation que pourrait apporter
cette convention C190 si elle était adoptée par la France.
D'abord, en ce qui concerne la répétition
des faits, puisque le droit français exige
que les agissements qui sont constitutifs de harcèlement soient répétés,
alors que dans la définition qui est donnée par la Convention C190,
un seul agissement est susceptible de constituer, en soi,
un acte de harcèlement moral.
Cette distinction, en fait, s'apparente à celle qu'on retrouve
dans la législation canadienne, dans laquelle
un agissement suffisamment grave peut également
emporter la qualification de harcèlement moral.
Ce serait donc un facteur d'amélioration pour les victimes,
de façon à ce qu'elles puissent réagir et elles aient les droits
et les possibilités de réagir dès
la première défaillance à laquelle elle est exposée.
Puis, un second point qui me paraît assez intéressant,
et notamment sur les questions d'évolutions sociétales,
ce sont les questions de genre.
Aujourd'hui, en France, quand on parle de genre,
et souvent, c'est lié à l'égalité homme femme,
on reconnaît deux genres.
Aujourd'hui, il y a beaucoup plus d'identités
de genres qu’uniquement celles des hommes et des femmes.
J'espère qu'à l'occasion de cette ratification,
les personnes en transidentité seront aussi prises
en compte dans la prévention des risques psychosociaux,
car aujourd'hui, ce travail-là n'est pas suffisamment axé
sur l'ensemble de la diversité des personnes.
-Docteure Nina Tarhouny, merci beaucoup pour ce brillant éclairage
sur les risques psychosociaux au travail et les effets sur la santé mentale
en milieu professionnel.
Merci également à notre public, qui nous a rejoints
pour cette édition spéciale des Voix au travail.
Ce podcast sera bien évidemment disponible en ligne.
Si vous souhaitez obtenir plus d'informations sur la santé mentale
et les risques psychosociaux au travail, vous pouvez consulter notre site web
à l'adresse : voices.ilo.org.
J'espère évidemment vous retrouver très vite,
lors du prochain épisode du podcast de l’OIT sur l'avenir du travail.
Merci beaucoup et à très bientôt.
[musique].