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Points de vue sur le monde du travail
Photo: Violaine Martin / ILO

Podcast l'avenir du travail

Episode 46
Justice sociale

Directeur général de l'OIT: Ce que l'on peut attendre de la Conférence internationale du Travail de 2024

31 mai 2024
00:00

La 112e Conférence internationale du Travail (CIT) s'ouvre le 3 juin à Genève. Souvent décrite comme un parlement international du travail, plus de 5 000 représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs des 187 États Membres de l'OIT participeront à cette réunion annuelle.

À l'approche de cette conférence de deux semaines, le Directeur général de l'OIT, Gilbert F. Houngbo, explique l'importance des questions qui seront abordées lors de la conférence et leur importance au vu de la situation actuelle du marché de l’emploi. Parmi ces questions figurent la protection des travailleurs contre les effets du changement climatique et les risques biologiques, le travail décent dans l'économie des soins et les principes et droits fondamentaux au travail.

Le forum inaugural de la Coalition mondiale pour la justice sociale se tiendra également pendant la CIT. Initiative multilatérale dirigée par l'OIT, la Coalition vise à accélérer les progrès vers les Objectifs de développement durable (ODD) et défendre  la justice sociale à l'échelle mondiale.

Transcription

[musique]

-Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode

du podcast de l'avenir du travail,

le podcast où nous parlons des défis, des évolutions et des enjeux

qui façonnent le monde du travail.

Je suis Zeina Awad.

Aujourd'hui, nous recevons un invité d'exception,

Gilbert Houngbo, le directeur général de l'OIT.

Merci d'être avec nous pour ce podcast.

-Merci de me recevoir.

-Nous avons beaucoup de sujets à traiter.

Le 3 juin s'ouvrira la Conférence internationale du travail,

ici, à Genève, la CIT, qui est souvent comparée

à un parlement international du travail, ouvre dans une période qui s'annonce

une fois de plus difficile pour le marché de l'emploi

et pour l'économie mondiale.

Avant d'aborder les principaux sujets de la conférence,

j'aimerais parler de la situation actuelle du marché du travail.

L'OIT vient de publier une mise à jour des perspectives sociales

et de l'emploi dans le monde.

Elle estime que le taux de chômage mondial en 2024 s'élèvera à 4,9 %.

Il s'agit d'une baisse par rapport au taux de 5,0 enregistré

en 2023

et d'une révision positive,

car la précédente projection de l'OIT

pour le chômage mondial en 2024 était de 5,2 %.

Faut-il se réjouir de cette petite amélioration ?

-Tout d'abord, je vous remercie de l'occasion

que vous m'offrez pour cet entretien.

Effectivement, je pense qu'il est important

de voir le verre à moitié plein.

Une baisse du taux de chômage global, c'est une bonne nouvelle,

même si elle est très infime, de 5,0 % en 2023, 4,9 %.

Ce qui est même plus important, c'est de voir aussi la baisse suite

à la révision de nos estimations depuis novembre,

où est-ce qu'on était à 5,2 % pour 2024, de 5,2 à 4,9.

C'est quand même assez important.

Ceci étant,

il faut quand même se dire

que lorsqu'on regarde les données, lorsqu'on commence à regarder les données

par région

ou alors à les analyser sous l'angle des pays à revenu élevé,

les pays intermédiaires ou les pays à faible revenu,

c'est là que nous constatons que les inégalités

non seulement persistent,

mais s'agrandissent.

L'autre point qui est important de soulever,

c'est que depuis 2 ans,

en plus du taux de chômage qui, essentiellement,

reflète le nombre de personnes sans emploi

selon les statistiques

et les différents départements de statistiques,

nous avons commencé à mesurer aussi,

en plus du chômage tel qu'on le connaît,

le nombre total

des gens qui aimeraient travailler, mais qui n'ont pas d'emploi.

En d'autres termes, en plus des chômeurs, nous ajoutons

ceux qui se sont découragés et sont sortis du marché du travail,

et qui ne cherchent même plus du travail, même s'ils aimeraient avoir du travail.

Ce chiffre demeure quand même à 400 millions

au niveau planétaire, ce qui est quand même assez préoccupant

et est plus élevé au niveau des femmes

par rapport aux hommes, surtout dans les pays les moins avancés.

Juste une statistique

pour refléter

ce dont il s'agit, puisque l'autre dimension aussi,

c'est toujours l'écart salarial entre les femmes

et les hommes.

Ce que nous constatons aujourd'hui, c'est que dans les pays à faible revenu,

les femmes, celles qui sont sur le marché du travail,

celles qui ont un emploi, gagnent en moyenne 44 %

de ce que gagnent les hommes.

Dans les pays à revenu très élevé,

pour les femmes, c'est déjà mieux, elles gagnent 73 %

par rapport à ce que les hommes gagnent, mais c'est quand même un gap

qui demeure de 20 à 27 %.

En un seul mot,

je dirais oui,

c'est une bonne nouvelle lorsqu'on regarde la quantité,

mais quand on voit la qualité de la situation,

c'est toujours préoccupant.

-Passons maintenant à la Conférence internationale du travail,

la CIT.

[?] des questions que vous avez soulevées,

notamment l'inégalité, seront à l'ordre du jour.

Commençons par le tout premier forum de la Coalition mondiale

pour la justice sociale qui se tiendra à la CIT le 13 juin.

Qu'est-ce que la coalition ? Quels sont ses objectifs ?

Pourquoi faut-il engager avec les gouvernements

et autres parties prenantes en faveur de la justice sociale

et à travers la coalition ?

-Depuis la décision prise par le conseil d'administration

en novembre 2023 pour la création de cette coalition,

formellement parlant,

nous avons été positivement très surpris de la réaction presque instantanée

que nous avons enregistrée depuis le début de l'année.

Aujourd'hui, nous avons entre 60 et 65 États membres

qui se sont formellement inscrits.

Évidemment, nous avons plusieurs organisations d'employeurs,

de travailleurs, de plusieurs universités, de la société civile,

les collègues du système des Nations Unies,

incluant l'Organisation mondiale du commerce,

des acteurs au niveau international du développement

comme Oxfam

et les banques régionales de développement,

et j'en passe.

Qu'est-ce que cela reflète ?

On parle de plus de 260 partenaires enregistrés il y a une semaine.

Qu'est-ce que cela représente ?

Ça veut dire que partout au monde,

la justice sociale est au cœur des préoccupations de nous tous.

Maintenant, ce que nous comptons faire, le 13,

ça va être le lancement officiel.

À votre question : « Pourquoi au-delà des mandats traditionnels du BIT ? »,

d'abord,

pourquoi les mandats du BIT ?

Parce que, il faudrait encore le répéter, le travail n'est pas une commodité.

Nous pensons que la dignité humaine passe par le travail et la justice sociale.

Il n'y aura jamais de justice sociale--

Il n'y aura jamais de paix durable sans la justice sociale.

Ça, c'est le préambule de notre constitution,

donc il va de soi.

La justice sociale,

c'est aussi l'égalité des chances quand il s'agit de l'accès

aux opportunités économiques.

C'est aussi la capacité donnée à tout le monde d'accéder à l'éducation,

d'accéder à un minimum de santé.

C'est pour ça que ça touche aussi des domaines au-delà du BIT.

-Bien sûr,

le monde du travail est en train de faire face à plein de défis

et des nouvelles réalités comme, par exemple,

les plateformes numériques, les changements démographiques,

le travail à distance, pour n'en citer que quelques-unes.

Comment l'OIT envisage-t-elle d'adapter les principes

et les droits fondamentaux au travail en face de cette réalité ?

-On a déjà commencé à y réfléchir.

D'ailleurs, cette discussion récurrente

sur les droits et principes fondamentaux au travail,

pour moi, c'est une conséquence directe de cette préoccupation,

donc de l'appareil, de la machine que la conférence a mise

en place depuis 1998, justement pour permettre cette discussion récurrente

afin de répondre aux nouvelles exigences que nous avons.

De cette discussion récurrente qui va prendre en compte

la question du changement démographique, la question des transitions justes,

que ce soit au niveau climat ou bien au niveau énergie,

la question de l'intelligence artificielle,

les modes de travail, de fonctionnement auxquels

vous avez fait référence là-dessus, cela va permettre

à la conférence de sortir de cette discussion récurrente

avec ou à l'aide de recommandations

ou des suggestions

pour l'organisation, afin de nous permettre

de mieux agir sur le travail dans les années à venir.

Surtout que dans les années à venir, nous devons préparer

notre prochain plan stratégique des quatre prochaines années.

-La CIT tiendra une première discussion normative

sur la protection contre les risques biologiques.

Pourquoi est-ce qu'il est urgent d'adopter

des nouvelles normes internationales spécifiques

aux risques biologiques au travail ?

Quels seraient les principaux éléments de ces normes ?

-Évidemment, les principaux éléments de ces normes,

je ne saurai le dire.

Il faut laisser justement le débat arriver.

D'ailleurs, c'est une discussion, ce que nous appelons dans notre jargon

une « double discussion », c'est-à-dire une discussion

qui ira au-delà de 2024, mais jusqu'en 2025,

avant de conclure.

Quel instrument on aura ?

Est-ce que ce sera une recommandation ou est-ce que ce sera une convention ?

On ne peut pas le dire à ce stade-ci.

Ceci étant, cela reflète d'abord l'importance,

depuis 2022, le fait que la question de la SST,

santé et sécurité au travail,

a été levée au grade

des principes fondamentaux et droits au travail.

Faut-il rappeler que ces principes qui, en deux mots,

regroupent les dix conventions principales du BIT.

Tous les pays doivent mettre en œuvre ces conventions,

qu'ils aient ratifié ou non lesdites conventions.

Je pense que c'est important.

L'étude de la question biologique

va en ligne droite

pour voir à quel point nous sommes mieux préparés

d'un point de vue santé et sécurité au travail.

Aussi, je dois le dire,

c'est la résultante du travail que le groupe tripartite fait.

Il y a un groupe tripartite qu'on a créé pour justement passer

en revue toutes les anciennes conventions,

ce faisant,

ils ont identifié

des gaps.

C'est la réponse à certaines des recommandations

de ce groupe de travail.

-La CIT va également parler de l'économie des soins.

Quelles sont les mesures concrètes que l'OIT recommande au gouvernement

pour mieux protéger et valoriser les travailleurs de l'économie de soins

qui sont

des femmes et des migrants ?

-Ça, c'est clair.

L'économie de soins, c'est pour ça que nous parlons de « économie de soins ».

Ce n'est pas juste une question de santé.

Il y a la question de santé, il y a la question démographique.

Cela veut dire aussi, qui parle d'économie de soins,

parle du travail domestique.

Nous savons, le travail domestique,

c'est un domaine où est-ce que 73 %, ce sont des femmes,

donc il y a un gap salarial.

Nous savons aussi que c'est un domaine qui implique les discussions

tout autour de la migration et le gap entre essentiellement

les pays du Nord,

comme on le dit, où est-ce que la population

est vieillissante,

et les pays du Sud où est-ce que la population

est encore relativement beaucoup plus jeune.

L'économie des soins offerts, finalement, c'est aussi l'économie du futur là-dessus.

Il est important

qu'on ait cette discussion afin, encore pour l'organisation,

de bénéficier des recommandations et ajuster notre plan d'attaque,

notre plan de travail en conséquence.

-La conférence va bien sûr discuter également de la situation

des travailleurs dans les territoires arabes occupés.

Le dernier rapport de l'OIT à ce sujet est disponible sur notre site Web.

Maintenant, face à la crise humanitaire et la perte massive d'emplois

dans les territoires palestiniens occupées,

comment l'OIT compte-t-il soutenir les travailleurs

et promouvoir le respect des droits du travail dans cette région ?

-D'abord, c'est une situation qui est très pénible.

Nous tous, nous suivons

avec horreur,

le déroulement d'encore ces derniers jours,

avec l'attaque du camp des réfugiés avec 45 morts.

C'est pénible, c'est horrifiant et c'est révoltant,

il faut bien le dire.

Ce rapport,

encore, dénote l'impact de cette crise

sur le marché du travail.

Juste rapidement,

à Gaza, par exemple,

la situation était déjà très dure, il faut bien se le dire,

avant le 7 octobre,

le jour de l'attaque du Hamas contre Israël,

mais le taux de chômage était déjà de 25 % à Gaza.

Maintenant, dans nos rapports que nous avons mis en ligne,

on parle de 45 %.

Ça a presque doublé.

La situation s'est empirée aussi

au niveau de la Cisjordanie.

Inutile de parler encore de la situation des femmes sur le marché du travail

dans ces circonstances et dans cette situation très préoccupante.

C'est pour cela que nous ne pouvons,

encore une fois, faire appel vraiment à un cessé de feu permanent

et plutôt faire appel à des négociations pour aboutir sincèrement à la solution

que tout le monde appelle

une solution entre deux États.

Là-dessus, il faut une solution pérenne

à cette crise afin qu'on arrête cette horreur,

surtout,

au niveau du marché du travail, afin que les travailleurs

et aussi la PME--

Parce qu'on sait que dans la région,

c'est beaucoup de petites entreprises qui souffrent énormément aussi

de cette situation.

Nous attendons une discussion assez riche et sincèrement,

nous espérons que ce débat va contribuer justement à la recherche

d'une paix durable.

-Monsieur le DG, merci pour cet aperçu.

Aujourd'hui, nous avons parlé avec le directeur général de l'OIT.

C'est la fin de notre podcast, mais pour poursuivre

l'actualité de l'OIT sur les réseaux sociaux,

vous pouvez nous suivre

sur le compte LinkedIn de l'Organisation internationale du travail,

sur notre site Web ilo.org,

sur Facebook et Instagram et sur x@oitinfo.

Dans les semaines à venir, nous continuerons à parler

des changements qui bouleversent le monde du travail,

mais pour l'instant, nous vous disons au revoir et à très bientôt

pour un autre épisode des Voix de l'OIT.

[musique]