[musique]
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des Voix de l'OIT,
un podcast de l'OIT où nous abordons les problèmes et les problématiques
du monde du travail et les profondes
transformations qu'il est en train de vivre.
Aujourd'hui, nous allons parler des travailleurs clés,
ces travailleurs essentiels qui nous ont tant aidé pendant la pandémie.
Il s'agit essentiellement des métiers d'urgence ou de ceux
qui permettent d'assurer les besoins vitaux du quotidien:
santé, alimentation, transport et sécurité notamment.
Nous allons parler de leur situation,
de ce qu'il faudrait faire pour qu'ils puissent bénéficier de meilleures
conditions de travail et pour mieux mettre en valeur ce qu'ils font.
Pour en parler avec nous aujourd'hui, Sévane Ananian,
économiste du département de la Recherche à l'OIT
et Christine Erhel, économiste spécialiste
des questions de travail et professeur au CNAM,
le Conservatoire National des Arts et Métiers.
Bonjour Sévane, bonjour Christine.
Merci d'être avec nous aujourd'hui.
Bonjour.
Bonjour.
Abordons d'abord une question basique, une question de définition.
Qu'est-ce que l'on appelle les travailleurs clés, Sévane?
Les travailleurs clés, ce sont les travailleurs
qui ont été mis en lumière pendant la crise du COVID-19.
Par exemple, ce sont ceux qui ont produit,
distribué et vendu de la nourriture pendant la crise,
nettoyé les rues et les bus pour limiter la propagation de la pandémie,
assuré la sécurité publique,
transporté des biens et des travailleurs clés,
soigné et guéri les malades dans les hôpitaux notamment.
Dans le rapport qui sort, on a adopté une définition, qui est fondée
sur les listes adoptées par les pays entre mars
et avril 2020, qui désigne les activités et les services
qui devaient continuer de fonctionner pendant la pandémie.
Au sein de ces secteurs d'activité,
on a retenu par ailleurs uniquement les travailleurs
qui exercent des professions pour lesquelles le télétravail
n'est habituellement pas envisageable et qui avaient une forte
probabilité de travailler sur site pendant la pandémie.
Ces travailleurs clés, on les a divisés en huit groupes principaux
de profession qui sont analysés dans le rapport.
Il y a les techniciens et autres employés administratifs,
les travailleurs des transports,
les travailleurs du nettoyage et de l'assainissement,
les travailleurs manuels, les personnels de sécurité,
les travailleurs du commerce de détail,
les personnels de santé et les travailleurs
des systèmes alimentaires.
En pratique, c'est vrai qu'il y a différentes terminologies
qui ont été adoptées dans les pays.
Certaines publications adoptent le terme de «travailleurs clés»,
d'autres adoptent la terminologie «travailleurs essentiels» ou alors,
on a pu aussi entendre «travailleurs de première et de seconde ligne»,
comme c'est le cas en France, par exemple.
Justement, on parle de travailleurs
qui ont des métiers tout à fait différents.
On parle de travailleurs clés, de travailleurs essentiels,
mais aussi comme vous venez de dire, de première ligne, de deuxième ligne.
N'est-il pas difficile d'aborder les problèmes
d'un collectif aussi hétérogène, Christine?
Effectivement, c'est quelque chose qui est relativement complexe.
D'abord peut-être pour revenir un peu sur la distinction première,
deuxième ligne, en France,
c'est une distinction qui est venue du discours politique,
puisque c'est le Président Macron qui a utilisé
cette distinction entre première et deuxième ligne.
En partie, elle est de fait largement artificielle.
Malgré tout, ce qu'on a pu constater ensuite lorsqu'on
a mené un travail plus statistique
sur la réalité des conditions de travail
et d'emploi des travailleurs concernés,
on a pu tout de même voir qu'il y avait
un certain nombre de points communs.
Je vais revenir juste très rapidement sur les critères qu'on a utilisés,
il s'agit ici du rapport que j'ai coordonné
sur les conditions de travail et d'emploi,
la qualité du travail et d'emploi des travailleurs de la seconde ligne.
On a utilisé dans ce rapport deux critères pour définir
ce qu'étaient les métiers de la seconde ligne.
Il s'agissait de métiers qui, du fait de leurs conditions de travail,
impliquent un contact avec du public
ou des contacts étroits entre collègues,
ce qui peut conduire à des risques de contamination en présence
de maladies comme le COVID et des métiers qui par ailleurs,
parce qu'ils ne sont pas télétravaillables, et ça rejoint
la définition qui vient d'être présentée précédemment,
ont continué sur site, y compris pendant les périodes de confinement,
en particulier pendant le premier confinement.
À partir de ces critères, on obtient toute une série de métiers qui sont
effectivement des métiers dans le secteur de l'agriculture,
dans le secteur des industries agroalimentaires, de la logistique,
mais des métiers de transport également, comme ça a été évoqué,
du commerce, commerce alimentaire en particulier,
des services à la personne, de la propreté.
On a effectivement exclu du champ de ces secondes lignes,
parce que ça correspondait au discours présidentiel,
des métiers qui étaient bien présents,
mais qui appartiennent à la première ligne selon
cette définition politique, qui sont la police,
l'armée, les soignants, et cetera.
Ce que je voudrais souligner ici,
c'est que même si la distinction première,
deuxième ligne est largement artificielle,
elle recoupe tout de même une forme de réalité sociale,
parce que les métiers de la seconde ligne sont
pour le coup des métiers largement défavorisés,
par rapport à l'ensemble des salariés,
mais aussi par rapport aux premières lignes.
C'est-à-dire qu'on a des métiers qui sont des métiers
essentiellement dans le secteur des services,
qui sont caractérisés par des salaires qui sont souvent très bas,
par des conditions de travail qui présentent des facteurs
de pénibilité qui sont pour la plupart assez mal pris en compte,
des questions d'horaires de travail, horaires décalés, horaires morcelés,
et cetera, qui posent des problèmes spécifiques et des problèmes
aussi en termes de perspectives de carrière.
En bref, on a quand même une forme d'unité.
Au-delà de la diversité des métiers,
on a une forme d'unité des problèmes qui se posent
pour ces métiers de la seconde ligne.
C'est quelque chose que je voudrais souligner
puisque dans le contexte actuel en France,
c'est important que l'on retrouve encore dans le contexte
actuel du débat sur la réforme des retraites.
En prolongeant un peu ces travaux statistiques,
on a pu voir aussi qu'y compris les fins de carrière
de ces travailleurs de la seconde ligne,
toujours avec cette liste de métiers que je viens d'évoquer,
ont des conditions de fin de carrière marquées
par des situations particulières et sont
plus souvent ni en emploi ni en retraite
avec tous les problèmes que ça peut poser.
On a une forme, malgré tout, d'unité,
de points communs au sein de ces métiers hétérogènes.
Des métiers différents, mais qui font face à des problèmes similaires,
des problèmes aussi qui ont été mis
en lumière pendant la crise du COVID-19.
Sévane, vous nous parliez avant d'un rapport de l'OIT justement
sur ces travailleurs qui souligne entre autres que les économies,
les sociétés dépendent énormément de leur travail et parce que parfois,
ils font même jusqu'à 52 % de tous
les emplois occupés par ces travailleurs.
Quels sont les autres points forts de ce rapport?
On va d'abord aborder ça, avant d'aborder
les autres questions sur les travailleurs clés.
Je pense qu'un des apports importants de ce rapport,
c'est de mettre en lumière les conditions
de travail de ces travailleurs de par le monde.
Certaines de ces conditions de travail ont déjà été évoquées
par Christine auparavant, mais dans l'ensemble,
elles reflètent la sous-valorisation du travail essentiel.
À cet égard, je crois que la faible rémunération des travailleurs
clés est particulièrement révélatrice.
Par exemple, les bas salaires sont surreprésentés parmi les salariés clés.
Ils sont 29 % des salariés clés à recevoir un bas
salaire contre 20 % pour les autres salariés en moyenne.
En plus, on a observé un écart moyen de salaire entre les salariés
clés et les autres qui est de l'ordre de 26 %
dont seulement les 2/3 de cet écart ont pu être expliqués
dans nos estimations par des différences
en termes de niveau d'éducation et d'expérience
entre les populations clés et non clés.
On a relevé aussi d'autres déficits en termes
de conditions de travail, par exemple,
des risques élevés en matière de santé et sécurité au travail.
Ça, même avant la pandémie,
ces travailleurs apparaissaient davantage exposés aux risques physiques,
biologiques ainsi qu'aux risques psychosociaux dans les pays
pour lesquels cette dimension a pu être étudiée.
On a aussi observé des déficits en matière de protection sociale.
60 % des travailleurs clés dans les pays à bas et moyens revenus
ne sont pas couverts par la protection sociale,
tandis que pour les travailleurs indépendants spécifiquement,
la protection apparaît particulièrement faible.
Il y a aussi une sous-représentation syndicale des travailleurs clés,
notamment dans certains secteurs clés.
Dans la plupart des pays avec des données disponibles sur cette dimension,
le taux de syndicalisation des travailleurs clés
est inférieur au taux moyen de syndicalisation du pays.
Il y a aussi un recours excessif aux contrats temporaires
pour l'embauche des salariés clés.
Ces salariés ont souvent des horaires de travail longs et irréguliers,
en particulier dans certains secteurs
clés comme les transports ou la sécurité,
ce qui peut créer différents problèmes,
en particulier pour la santé et la sécurité de ces travailleurs.
À long terme, ces déficits peuvent conduire à des pénuries
de main-d'œuvre, un turnover important et finalement
une insuffisance des services clés qui peut
s'avérer critique pour les prochaines
crises que les pays pourront traverser.
Pour pallier à ces déficits et leurs conséquences,
le rapport propose aussi et détaille un certain nombre de mesures,
dont en particulier l'investissement dans les institutions du travail,
comme la négociation collective, les systèmes de santé,
la santé et la sécurité au travail ou la protection sociale,
et par ailleurs aussi un investissement dans les infrastructures
matérielles et sociales dans les secteurs clés
qui sont bien sûr nécessaires pour soutenir les conditions
de travail et renforcer la résilience des sociétés.
Sous-valorisation, sous-représentation, ce sont les mots qui reviennent
le plus dans ce que vous nous avez raconté.
Pendant la pandémie,
il y a donc eu quand même une prise de conscience de ces travailleurs,
de leurs conditions de travail.
Pourtant, lorsque nous sommes revenus à la normale,
rien n'a vraiment changé.
Pourquoi Sévane?
Après, Christine, vous nous raconterez en France.
C'est une question difficile dont la réponse
a probablement plusieurs dimensions.
Certainement qu'une fois passé le coup de projecteur
temporaire qu'a pu créer la crise du COVID-19,
la visibilité des travailleurs clés a sans doute largement
décru avec l'atténuation progressive de la pandémie.
Par ailleurs, il se peut qu'un volet de la réponse réside
dans le fait qu'une partie de la contribution
économique et sociale des travailleurs
clés est difficilement appréhendable,
car elle échappe aux mécanismes usuels de marché.
Il s'agit de ce qu'on appelle en économie les externalités positives.
C'est-à-dire que les travailleurs clés procurent un service
non seulement aux personnes pour lesquelles ils travaillent,
qui bénéficient directement de ce service,
mais aussi pour la communauté plus largement.
C'est le cas, par exemple, des salariés d'un hôpital qui,
en soignant les infections, protègent aussi le reste de la population.
Dès lors, on a besoin de créer des mécanismes permettant de reconnaître
pleinement la contribution économique et sociale
des travailleurs clés et de valoriser en conséquence
leur rémunération et leurs conditions de travail.
Christine, quelle est la situation en France?
Pourquoi rien n'a vraiment changé depuis la pandémie?
En France, on a eu un affichage de mesures pendant la pandémie,
disons dans la deuxième partie de la pandémie,
une fois passé le premier confinement.
Ensuite, il y a eu des tentatives pour améliorer
la situation des travailleurs de la seconde ligne.
Peut-être qu'il faut quand même faire une petite
distinction en amont en disant qu'en France,
il y a eu des politiques effectivement de revalorisation
pour les travailleurs dans le secteur de la santé.
Côté première ligne, il y a des choses, effectivement,
qui ont été faites en termes de rémunération.
Pour le volet des métiers de la seconde ligne,
ils ont été simplement donc concernés par deux types de politiques.
La première, ça a été une prime exceptionnelle, défiscalisée,
qui a été proposée aux employeurs,
que les employeurs pouvaient verser aux travailleurs.
Le point central ici, c'est que cette prime,
qui devait au départ être centrée
sur les travailleurs de la seconde ligne,
a finalement été étendue à l'ensemble des travailleurs.
Du coup, c'est devenu une mesure qui n'était pas
du tout une mesure spécifique.
Au final, on ne sait pas très bien.
On n'a pas vraiment de chiffres qui permettent de l'évaluer.
Quels ont été les métiers qui en ont réellement bénéficié?
À mon sens, cette politique n'a pas vraiment ciblé
les travailleurs de la seconde ligne.
Par ailleurs, en parallèle, le ministère du Travail a lancé une démarche
d'accompagnement des branches pour qu'elles négocient
sur des dimensions de qualité de l'emploi qui posent problème
pour ces travailleurs de la seconde ligne.
Ces démarches ont peu progressé.
Il y a eu quelques éléments sur des grilles de rémunération,
par exemple dans le secteur de la propreté,
ou dans l'aide à domicile où on a eu quand
même des revalorisations salariales,
mais qui sont restées limitées et qui,
compte tenu actuellement des mécanismes d'inflation à l'œuvre,
sont aussi largement insuffisantes et ne permettent
pas de réellement revaloriser les métiers en question.
Ces politiques-là,
elles ont été effectivement présentes juste pendant la pandémie.
Là, effectivement, le sentiment qu'on a depuis un an,
c'est que ce souci des travailleurs clés,
et des travailleurs de la seconde ligne en particulier,
a disparu des politiques françaises.
Une fois que la pandémie était finie et qu'on valorisait leur travail,
on les a un peu oubliés.
Voilà. On les a un peu oubliés.
Ils reviennent un petit peu dans l'actualité
par le biais des pénuries de main-d'œuvre.
Ce qui a été évoqué également par Sévane.
Vous nous en parliez avant.
Justement, ça aussi c'est revenu avec tout le débat sur la réforme des retraites.
Là, le point qui fait remonter un petit peu cette question,
il y a deux aspects.
Le premier aspect, c'est la question des pénuries de main-d'œuvre.
Puisque beaucoup de métiers en question sont caractérisés
par de grandes difficultés de recrutement,
ce qui a conduit les partenaires sociaux, dans certains cas,
à effectivement renégocier sur des questions
de rémunération, et cetera.
Ça reste relativement limité à ce jour.
Malgré tout, c'est une problématique qui est très présente.
Par exemple, pour tout ce qui est l'aide à domicile,
la propreté, les conducteurs,
il y a de grandes difficultés de recrutement en France actuellement.
Ça, c'est le premier aspect.
Les employeurs relancent un petit peu le sujet
du fait de ces difficultés de recrutement.
Sinon, l'autre point, c'est le point,
effectivement lié à la réforme des retraites
et au débat sur la pénibilité, qui est revenu dans le débat politique
français actuellement et avec des questions
spécifiques qui se posent pour ces métiers
dont la pénibilité n'est pas bien reconnue.
Puisque quand on parle justement de l'aide à domicile ou des caissières,
par exemple, ce sont des métiers pour lesquels les critères de pénibilité
qui ont été adoptés en France ne s'appliquent pas,
puisque c'est plutôt des critères de pénibilité qui correspondent
au monde industriel et pas à cet univers de service.
Ce débat-là est actuellement présent,
mais sans qu'il y ait vraiment de traduction politique pour le moment.
Sans vraiment aborder le sujet des travailleurs clés,
mais dont les conditions de travail sont difficiles,
vous parliez Christine de pénurie de main-d'œuvre.
En effet, comment peut-on embaucher des caissières ou des conducteurs,
alors que leur rémunération et leurs conditions
de travail sont toujours compliquées.
Sévane, que doit-on faire justement pour revaloriser et favoriser
ces métiers et favoriser des parcours professionnels
ascendants où vous leur donnez des conditions
de travail qui puissent être évidemment meilleures?
Il y a plusieurs mesures qui sont mises en avant
dans le rapport pour revaloriser les travailleurs clés,
notamment concernant les institutions de travail.
Par exemple, pour réévaluer les rémunérations des travailleurs clés,
la négociation collective semble être un outil adéquat,
d'autant plus qu'on observe que l'écart de rémunération
entre les salariés clés et les autres tendent
à être plus faibles dans les pays où la couverture
de la négociation collective est plus large.
C'est un indice.
Dans la mesure aussi où les salariés clés sont
sous-représentés en bas de l'échelle de rémunération,
une autre mesure possible est la revalorisation
des salaires minimums légaux qui peut aussi permettre de relever
la faible rémunération des salariés clés.
Il y a d'autres mesures qui doivent être envisagées
pour améliorer les autres conditions de travail et en particulier
favoriser des lieux de travail sûrs et salubres pour tous
via des systèmes de santé et sécurité au travail,
assurer l'égalité de traitement indépendamment
des modalités du contrat de travail,
par exemple les salariés à temps partiel ne devraient pas recevoir
un salaire plus faible juste parce qu'ils sont à temps partiel.
Leur salaire doit être calculé au prorata
de leur temps de travail et non inférieur.
Étendre aussi la protection sociale, y compris l'accès aux congés maladie
et aux indemnités maladie est une autre mesure,
notamment dans les pays en développement et permettre aux travailleurs
indépendants d'être couverts lorsque ce n'est pas le cas,
puis garantir aussi des horaires de travail raisonnables et prévisibles
par le biais de la réglementation ou de la négociation collective.
Ça, c'est un exemple des mesures qui sont
un peu mises en avant dans le rapport.
Par ailleurs, bien sûr, ces mesures doivent s'accompagner
de stratégies qui permettront leur mise en application
et notamment en donnant les moyens, l'administration du travail,
de collecter et de synthétiser l'information nécessaire
et de faire appliquer les textes réglementaires.
Enfin, bien sûr, comme vous l'avez dit,
il faut valoriser et favoriser des parcours professionnels ascendants
et ce qui passe en partie par la formation qui doit permettre d'une part
de préparer les travailleurs clés aux tâches qu'ils accomplissent,
afin qu'ils puissent les effectuer sans risque et efficacement,
notamment dans les situations de crise,
mais aussi d'appuyer les évolutions favorables de leur
carrière professionnelle et puis salariale aussi.
Comment mettre en place toutes ces politiques?
Christine, je reviens vers vous.
Nous parlions avant du débat sur la réforme
des retraites et un peu sur la pénibilité des métiers.
Quel est le rôle que peuvent avoir la négociation collective
et le dialogue social pour la mise en place
de politiques meilleures pour ces travailleurs clés?
Je pense que le rôle du dialogue social est effectivement très
important en France sur ces questions de conditions de travail et d'emploi.
Il se situe plutôt au niveau des branches,
puisque c'est plutôt là qu'on peut coller
le mieux à la réalité des métiers et des secteurs.
C'est d'abord à ce niveau, même s'il peut y avoir aussi des éléments
qui sont négociés au niveau national, au niveau interprofessionnel.
Je pense que pour coller le mieux possible aux réalités des métiers,
la négociation de branches est essentielle.
Le problème dans le cas français,
c'est que même si c'est un échelon de négociation qui est reconnu
avec des thématiques de négociation qui appartiennent
effectivement aux branches et qui sont largement les questions
de rémunération de qualité de l'emploi et du travail, et cetera,
cet échelon fonctionne plus ou moins bien selon les branches.
C'est très hétérogène.
On a des branches dans lesquelles la qualité
de la négociation est bonne et d'autres beaucoup moins.
Le problème étant qu'évidemment,
celles qui emploient le plus de ces travailleurs
essentiels sont souvent des branches dans lesquelles les conditions
de négociation ne sont pas très favorables.
Je pense que la négociation de branches doit
être encouragée aussi par les pouvoirs publics.
Ça, ça peut passer par des mécanismes.
En France, on a beaucoup d'aides aux entreprises qui, pour l'instant,
sont toutes non conditionnelles.
Il n'y a aucune condition liée effectivement, par exemple,
au fait que les branches aient signé un accord en matière
de rémunération ou en matière de qualité de vie au travail par exemple.
Il me semble qu'un mécanisme possible, on évoquait ça dans le rapport
sur les travailleurs de la deuxième ligne,
serait de conditionner certaines aides aux entreprises
au fait qu'il y ait une négociation qui soit
une négociation de qualité sur les conditions de travail
et d'emploi des travailleurs de la deuxième ligne.
Est-ce que le fait qu'il y ait une pénurie de main-d'œuvre
peut forcer les entreprises où il y a en effet
moins de négociations collectives à mettre en place
des mesures qui aident un peu plus ces travailleurs?
Est-ce que ça pourrait être un facteur?
Oui, ça peut évidemment être un facteur,
mais je pense que ce n'est pas suffisant parce qu'on
est aussi sur certains des métiers qu'on a évoqués.
On est sur des métiers sur lesquels on a beaucoup de travailleurs
d'origine étrangère ou étrangers qui sont embauchés.
Je pense, par exemple, au secteur de la propreté ou de la sécurité,
et avec des travailleurs avec un faible pouvoir de négociation.
Ce qui du point de vue économique aussi peut expliquer le fait
que malgré des difficultés de recrutement qui sont persistantes,
la solution pour les employeurs ne soit pas forcément
d'améliorer les conditions de travail et d'emploi,
mais plutôt d'aller explorer des viviers de main-d'œuvre
un peu nouveaux pour avoir des travailleurs
qui acceptent malgré tout ces conditions d'entrée
sur le marché du travail qui sont des conditions difficiles.
Je pense que ça ne suffit pas,
il faut tout de même aussi des mécanismes qui soient des mécanismes,
soit en partie réglementaires comme ça a été évoqué.
Je pense par exemple sur les questions d'honoraires, et cetera.
Même en France où on a un certain nombre
de règles relativement protectrices.
Je pense qu'il y a des choses complémentaires
qui peuvent être faites sur les temps de pause, sur les coupures,
et cetera, par exemple.
Par ailleurs aussi, sur les questions de rémunération,
on a toujours aussi en France un problème avec
des grilles salariales dans les branches qui sont pour une partie d'entre
elles inférieures au niveau du salaire minimum.
Le résultat, c'est qu'il n'y a pas de progression de carrière
dans ces branches puisque tout le monde se retrouve au niveau
du SMIC et il n'y a pas de possibilité de progression
puisque les grilles salariales sont de fait trop basses.
Ça, c'est une situation qui en principe ne correspond
pas à l'esprit du droit du travail français,
mais qui malheureusement existe dans les branches
concernées par le travail de la seconde ligne, le travail essentiel.
Dans la réalité. Sévane est-ce que c'est également votre diagnostic?
Il faut vraiment mettre en place des mesures beaucoup plus fermes
pour encourager le dialogue social pour les travailleurs clés.
Oui. Je pense que la promotion du dialogue social pour l'amélioration
des conditions de travail des travailleurs clés est nécessaire.
Comme l'a souligné Christine,
c'est une stratégie qui doit être un peu globale parce
que comme on l'a remarqué aussi dans le rapport,
les taux de syndicalisation de ces travailleurs,
notamment dans le secteur, sont assez faibles.
Il faut promouvoir le dialogue social de façon assez générale,
mais le dialogue social est absolument nécessaire.
On le dit souvent, les employeurs et les travailleurs sont les mieux placés
pour concevoir et mettre en œuvre les mesures qui les concernent.
Au-delà du dialogue social sectoriel et d'entreprise
avec une piste proposée à la fin du rapport,
c'est peut-être que les gouvernements et les organisations d'employeurs
et de travailleurs se concertent et puis
réfléchissent ensemble à une feuille de route
qui permette de combler les déficits en termes de conditions de travail
qui peuvent en outre impacter négativement
les services essentiels en cas de crise.
Oui absolument, le dialogue social doit être promu.
Merci.
Nous avons parlé aujourd'hui des travailleurs clés avec Sévane Ananian,
économiste du département de la Recherche à l'OIT et Christine Erhel,
économiste et spécialiste des questions de travail.
Nous continuerons à parler des changements
dans le monde du travail dans les prochaines semaines.
Pour l'instant, c'est au revoir et à bientôt
pour un prochain épisode des Voix de l'OIT.