[musique]
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des Voix de l'OIT,
un podcast de l'OIT où nous abordons les problèmes
et les problématiques du monde du travail et les profondes
transformations qu'il est en train de vivre.
[musique]
Nous allons parler aujourd'hui du travail des seniors.
D'abord quelques chiffres.
Pour la première fois dans l'histoire, il y a aujourd'hui
plus de personnes âgées que de jeunes gens sur notre planète.
Un enfant né aujourd'hui en Europe
a 50 % de chances d'atteindre l'âge de 100 ans.
Si l'on doit parler de la France, les 13 millions
de personnes de 50 à 65 ans
sont aujourd'hui l'objet d'un intérêt renforcé,
avec les discussions qu'il
y a eues entre le gouvernement et les partenaires
sociaux sur la réforme de la retraite.
Qui sont ces personnes ?
Quelles sont leurs aspirations et leurs perspectives ?
Comment les entreprises les intègrent-elles
dans leur politique de ressources humaines ?
Peut-on parler d'âgisme ?
Nous allons parler de tout ceci
avec Dorothea Schmidt-Klau qui est la cheffe
de la direction de l'emploi, des marchés du travail
et de la jeunesse du département de l'emploi de l'OIT.
Bonjour Dorothea, merci d'être avec nous aujourd'hui.
Bonjour et merci beaucoup pour l'invitation.
C'est quand même un sujet qui concerne énormément de gens,
qui va concerner de plus en plus de gens.
Pourtant, dans les méga-tendances qui,
en ce moment, sont en train de bouleverser
le monde du travail, la technologie,
le changement climatique, on ne parle pas tant que ça
du travail des seniors, qui, pourtant,
est un problème qui se pose là, tout de suite, maintenant.
Oui, c'est vrai.
C'est un sujet, on ne parle pas très souvent,
même si c'est vraiment présent, et ce n'est pas seulement
dans les pays développés, c'est partout.
Je pense que le chiffre suivant vous donnera la réponse
que c'est vraiment un problème très présent.
Ici, à la fin du centenaire, la proportion de personnes âgées
dans les pays en développement augmentera de 350 %
C'est énorme.
Oui. Contre 70 % dans les pays développés.
Si le vieillissement des économies développées
peut être encore une tendance
future, les économies émergentes vieillissent déjà.
Aujourd'hui, nous voyons les résultats
de vieillissement dans les économies développées, pour l'instant,
aujourd'hui déjà, mais le monde entier est en train de vieillir.
Comme tu viens de nous dire, ce n'est pas un problème seulement
des pays développés, c'est aussi un problème des pays en développement,
et c'est en train de s'accélérer très vite ?
Oui, et permettez-moi d'ajouter que le vieillissement
dans les économies en développement est accompagné d'un risque
plus élevé que dans les économies développées.
Dans les débats sur le vieillissement, nous disons souvent :
«Il vaut mieux devenir riche avant de devenir vieux. »
C'est ce qui s'est passé dans les économies développées,
mais ce ne sera pas le cas dans les économies en développement.
Nous y voyons arriver une énorme vague de pauvreté
entre les personnes âgées.
Pourquoi justement les pouvoirs publics,
ou pourquoi les entreprises ne veulent pas aborder un sujet
peut-être qui déborde un peu du cadre politique ?
Si les gouvernements sont là pour 4 5 ans,
c'est un problème de longue durée.
Les entreprises ont quand même affaire aussi
à un marché du travail assez ample.
Pourquoi ce sujet n'était-il pas abordé ?
C'est incroyable tout de même.
Oui, c'est incroyable, parce que les chiffres sont là et c'est clair.
Sont là, devant nous, c'est clair.
Oui, et c'est une tendance qu'on ne peut pas arrêter, c'est un train.
[rit] Il y a de nombreuses raisons,
mais je pense que l'une des principales
est l'image que les employeurs et les sociétés dans leur ensemble
se font des personnes âgées.
Nous pensons qu'elles ne sont pas aussi utiles au marché du travail
que les personnes jeunes.
Il y a tellement de perceptions injustifiées.
-C'est très important. -Voilà, on va parler de ça.
Un autre point intéressant est que, dans la majorité des pays,
ce n'est pas la personne elle-même qui détermine
le moment où elle doit cesser le travail, mais c'est la loi.
Même si vous voulez travailler
à un âge plus avancé, c'est souvent interdit.
Cela aurait pu être une protection importante pour les gens
dans le passé, c'est clair, mais de nos jours,
c'est quelque chose qui devrait être discuté dans les sociétés.
L'État peut-il avoir le droit de déterminer si vous travaillez ou non ?
Moi, je pense que non.
Oui, absolument, ou tout du moins offrir des alternatives,
des petits emplois ou du travail-- Quoiqu'il ne faut
pas non plus tomber dans le travers qu'il y a,
par exemple, aux États-Unis, où on voit, d'un seul coup,
des personnes âgées qui, du fait de ne pas pouvoir
payer leur retraite, se retrouvent caissières
de supermarché à 70 ans, et cetera.
Il faut quand même ajouter de la qualité à cette offre qu'il
faudrait offrir aux personnes âgées après leur retraite,
forcée parfois, dans de nombreux cas ?
Oui, c'est une question.
Si je veux travailler, si je peux travailler,
si je veux continuer, c'est nécessaire que j'aie le droit.
Si je ne peux pas, c'est nécessaire d'avoir
un système de protection sociale qui m'aide de vivre
une vie qui n'est pas dans la pauvreté.
Il faut trouver une balance
entre les deux et ce n'est pas un âge fixe qui va être
la solution pour le problème.
Justement, on parle de ces idées reçues
sur les personnes âgées, on peut parler d'âgisme.
On parle d'idées reçues :
Elles sont plus malades, elles prennent plus de congés,
elles ne peuvent pas apprendre, elles sont plus difficilement recyclables.
Surtout maintenant, lorsqu'on parle de technologie.
Ils sont moins productifs.
Qu'est-ce qu'il en est de toutes ces idées reçues,
de tous ces clichés sur les personnes âgées ?
Je pense qu'ils sont tous faux.
Je commence avec cette idée qu'ils sont plus malades.
Les études montrent clairement que ce n'est pas le cas, pas du tout.
Les personnes plus âgées savent souvent mieux gérer
les maladies, en particulier, les maladies chroniques,
parce qu'elles ont eu ces maladies pendant toute leur vie.
Elles s'occupent mieux d'elles-mêmes.
Surtout, dernièrement, quand même.
Avoir 50 ans, maintenant,
ce n'est pas la même chose qu'avoir 50 ans, il y a même 20 ans.
On est quand même tous plus en forme ?
Exactement, et c'est pour ça qu'elles ne tombent
pas malades plus souvent que les jeunes.
Elles ne prennent pas plus de congés, ce n'est pas possible,
parce qu'on a des jours fixes pour prendre et on ne peut pas prendre plus.
Ça, c'est clair.
Les personnes âgées peuvent avoir besoin de quelques extras pour tenir
compte du fait qu'elles sont plus âgées.
Par exemple, des équipements de bureau et des lieux de travail adaptés.
Une fois qu'elles ont obtenu cela, il n'y
a pas de raison de penser qu'elles viendront moins au travail.
Il suffit de regarder autour de soi, dans son environnement de travail,
pour constater qu'il s'agit d'une perception.
Ça, c'est clair.
Concernant l'apprentissage,
absolument pas, ce n'est pas une question de l'âge,
il s'agit d'une question de continuité.
Si vous n'arrêtez pas d'apprendre
tout au long de votre vie, il n'y a aucun problème
à apprendre à un âge plus avancé.
Le problème est que beaucoup d'entre nous arrêtent d'apprendre
à un certain âge, généralement, entre les 30 et 40 ans.
Une fois que vous avez cessé d'apprendre,
votre capacité d'apprentissage diminue.
Ça, on le sait.
Par exemple, une personne qui a appris de nouvelles langues
tout au long de sa vie peut vraiment facilement
apprendre une autre langue. -C'est une gymnastique mentale.
Oui, c'est ça, mais si la dernière fois
que vous avez appris une langue, c'était à l'école,
il vous sera impossible d'apprendre une nouvelle langue à 60 ans.
L'apprentissage tout au long
de la vie doit être encouragé.
Ça, c'est le plus important.
Là, il y a peut-être une différence culturelle avec les jeunes
générations qui, hélas, maintenant, se sont faites à l'idée qu'elles vont
devoir apprendre tout au long de leur vie,
alors que lorsque vous avez 50 ans,
on vous disait au début de votre carrière :
«Vous faites ça, vous apprenez ça.
Vous êtes d'ingénieurs X, et cetera, vous continuez,
puis vous apprendrez dans votre travail. »
Là, c'est vrai qu'il y a quand même-- Il faut que,
soit les entreprises, soit l'État, développe des cours ou des formations.
Ça, c'est aussi une autre problématique.
Oui. Comme vous avez dit, c'est une responsabilité
des employeurs, des travailleurs et des sociétés.
Parce qu'il faut partager la responsabilité, c'est très important.
On ne peut pas dire aux travailleurs--
C'est à vous de vous former, vous n'avez pas d'initiative,
et cetera, parce que de fait, ça n'existe pas.
Si vous avez aujourd'hui, soyons honnêtes, 50 ans, vous vous retrouvez
au chômage, les possibilités que vous avez de retrouver un travail sont –
je ne vais pas dire nulles, je ne veux pas être pessimiste –
vraiment très faibles.
Si vous cherchez des formations,
il y en a très peu qui vous sont offertes.
En plus, vers quoi ? Et cetera.
Il y a vraiment un manque, quand même un trou important.
Il y a quelque chose qui se passe pour toutes ces personnes
qui savent que si elles se retrouvent au chômage, elles auront très peu
de possibilités de retrouver du travail.
C'est le cas et il faut vraiment changer ça.
Vous avez aussi dit qu'il y a cette perception
que les personnes âgées sont moins productives.
Encore une fois, c'est faux.
-Un autre cliché. -C'est ça. La productivité
des travailleurs âgés ne diminue que très tardivement.
De plus, et ça, c'est très important,
les travailleurs âgés ont un avantage que les jeunes n'ont pas,
ils ont accumulé des connaissances et l'expérience.
En d'autres termes, il se peut qu'à un moment donné,
elles ne travaillent pas plus vite,
les personnes âgées, mais dans une façon plus intelligente.
Ça, c'est vraiment une valeur qui est très importante.
Justement, parlons des solutions.
Comment retenir les travailleurs âgés ?
Que faut-il faire ? Comment les valoriser ?
Est-ce qu'il faut modifier les horaires de travail ?
Est-ce qu'il faut que ça soit une véritable initiative
entre entreprises et État ?
Où en sommes-nous un petit peu actuellement ?
On a vu qu'on n'abordait pas vraiment le problème,
alors que faudrait-il faire ?
D'abord, il est important de surmonter les perceptions, parce
que quand ils sont là, on ne peut pas--. -C'est très difficile.
-Oui, c'est super difficile. -Culturellement, c'est difficile.
C'est ça.
L'un des moyens d'y parvenir est de laisser les travailleurs
plus âgés et plus jeunes travailler ensemble,
comme j'ai dit, de les laisser s'encadrer mutuellement dans les domaines
où ils sont compétents, de leur donner l'espace nécessaire
pour interagir et pour discuter.
Il faut parler.
Il faut parler les uns avec les autres.
Absolument. -Oui, ça, c'est absolument.
Ce qui est aussi important, les politiques sont importantes.
Nous devons mettre en place des politiques qui permettent
aux travailleurs âgés de travailler aussi longtemps qu'ils le souhaitent.
En France, ça fait énormément de débats.
Oui, c'est ça.
Ce qui est important, ça doit être dans des conditions
acceptables pour eux.
Peut-être travailler à mi-temps, du travail valorisant aussi.
Ne pas se retrouver--. -C'est ça.
Les travailleurs âgés ont d'autres besoins que les jeunes
et les employeurs doivent en tenir compte s'ils veulent
que les travailleurs âgés restent.
Les travailleurs âgés sont, par exemple, moins intéressés
par les emplois à plein temps.
Pourquoi ne pas partager un emploi entre une personne
âgée et une personne plus jeune ?
On n'a jamais essayé, mais on peut.
Les personnes âgées peuvent avoir des besoins
de formation différents, c'est clair.
Ce n'est pas difficile à faire.
Les personnes âgées peuvent avoir besoin d'initiation
différente pour atteindre le plus haut niveau de performance.
Ils ont des valeurs différentes.
Par exemple, souvent l'argent, ce n'est pas la motivation,
mais une bonne relation avec ton patron,
c'est quelque chose qui est très important.
Le respect, tout ça, c'est très important pour les plus âgés.
Ça, on peut changer et ça ne coûte presque rien.
Il y a aussi, c'est vrai, une réalité démographique et économique.
S'il est vrai que beaucoup vont vivre jusqu'à, si ce n'est pas 100 ans,
90 ans, beaucoup vont également se retrouver
avec pas suffisamment d'argent, avec des petites
retraites, comparées à des nécessités aussi après dans leur grand âge.
Continuer à les faire travailler s'ils le veulent –
en général d'ailleurs, il y a des études
qui montrent que leur santé est meilleure –
ça peut aussi contribuer à compléter ces retraites
vis-à-vis des dépenses qu'ils peuvent avoir dans un plus grand âge.
Il y a aussi ça.
Absolument.
Il faut vraiment trouver une balance
entre un système de protection sociale qui est très solide.
-Ce qui n'est pas le cas. -Ce qui n'est pas le cas.
C'est encore un autre maillon de la chaîne des personnes âgées.
C'est ça. C'est très important.
Si on a un système de protection sociale
qui couvre bien ceux qui ont besoin de l'aide,
ça veut dire qu'ils peuvent contribuer à la société,
par exemple, dans des communautés, dans la famille,
mais aussi sur le marché du travail,
des activités économiques qui sont super importantes.
Si on fait l'investissement dans le système de pension
de retraite, ça va vraiment marcher
bien pour l'économie totale et pour la société totale.
Ça, c'est très important.
Il y a quand même aussi,
comme vous disiez, le problème de la valorisation.
Dans les pays développés, les valeurs sont plus des valeurs jeunes.
Tout ce qui est la partie des personnes âgées n'est pas très valorisée.
Les pays en développement, c'est différent.
Dans le fait qu'aussi les pays en développement
vont affronter ce problème du vieillissement des populations
et du travail des seniors, est-ce que l'on voit qu'il
y a quelque chose de différent ou au contraire,
la dévalorisation de la personne âgée
est déjà en train d'être une réalité ?
Le problème, c'est quelque chose qui n'est pas discuté.
-On n'en parle même pas. -On ne parle même pas.
On peut difficilement résoudre quelque chose dont on ne parle pas.
Nous avons effectué des calculs très intéressants
et je veux les partager avec vous.
Si l'on introduit une couverture de retraite de base, et de très base,
dans les pays les moins avancés, le PIB augmentera
de plus de 14 % pendant 10 ans,
la pauvreté va diminuer de 6 points
de pourcentage, et, c'est très important, l'égalité
entre les hommes et les femmes augmenterait,
car la pauvreté des personnes âgées est plus importante chez les femmes.
Parce qu'elles vivent plus longtemps en général.
C'est ça, et elles n'ont pas assez travaillé pendant leur vie.
Travailler sur le marché du travail, elles ont beaucoup travaillé.
[rit] -Elles ont beaucoup travaillé, mais n'ont pas forcément cotisé.
-C'est ça. -Ça, c'est aussi un énorme problème.
Oui. Maintenant, beaucoup de gens vont dire :
«C'est abordable. »
Sur ce que nous avons calculé, oui, c'est abordable.
Il suffit de 1,6 % de PIB des pays en développement
pour couvrir ces dépenses, pour une pension basique--.
Basique, mais au moins qui assure la nécessité.
C'est ça.
Des personnes protégées et en bonne santé
peuvent contribuer à l'économie : Le marché du travail,
mais aussi la vie des communautés, de la famille.
Ça, c'est les effets multiplication qui vont mettre sûr
que l'investissement va vraiment être quelque chose de bien et va être,
pour les pays en développement, de développer.
En ce moment, ce n'est même pas considérer comme une priorité.
On n'en parle pas.
Il y a très peu d'économies en développement qui le discutent.
Pour l'instant, c'est--. -Parce qu'elles considèrent
qu'elles ont d'autres priorités qui sont aussi là.
C'est ça.
Parmi les pays développés, y a-t-il un exemple
d'un pays qui aborde le mieux –
peut-être en Europe, ils abordent
mieux qu'aux États-Unis – ou un exemple qui vous semble
un peu plus intéressant en ce qui concerne ce problème ?
Oui. Il y a des pays qui ont, certainement quelques
pays en Afrique, un certain respect pour les plus âgés.
On voit qu'ils sont mieux intégrés.
Il n'y a pas de système de protection social,
mais il y a un système de protection dans les communautés.
Les jeunes automatiquement ont le respect pour les plus âgés, ils aident.
Dans ces communautés, les plus âgés jouent un rôle plus important.
Ça, c'est quelque chose qui peut marcher, même
si vous n'êtes pas très développé économiquement.
Pour l'instant, on trouve très peu d'exemples.
Au contraire, les pays entre les deux,
qui ne sont pas en développement,
là, le débat commence énormément.
Là, on parle des pays les plus grands, ça veut dire la Chine, l'Inde.
Si on ne trouve pas des solutions,
ils vieillissent vite et ça va avoir un impact-.
Des conséquences économiques énormes.
Énorme.
Pas seulement dans les pays, mais partout.
Partout, puisque ce sont des acteurs aussi
importants sur la scène internationale,
il y aura des répercussions un peu partout.
Merci beaucoup, Dorothea Schmidt-Klau.
Nous avons parlé avec vous du travail des seniors.
Dorothea Schmidt-Klau qui est la cheffe de la direction
de l'emploi, des marchés du travail
et de la jeunesse du département de l'emploi de l'OIT.
Nous continuerons à parler des changements qui bouleversent
le monde du travail dans les prochaines semaines.
Pour l'instant, c'est au revoir et à bientôt
pour un prochain épisode des Voix de l'OIT.
[musique]