Voices
Points de vue sur le monde du travail
Photo: Marcel Crozet / ILO

Podcast l'avenir du travail

Episode 39
Stress thermique

Stress thermique: quelles sont les conséquences pour le monde du travail?

16 août 2023
00:00

Juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur l'ensemble de la planète. Il est évident que ces températures toujours plus élevées ont des conséquences énormes sur l'environnement, mais elles ont également des conséquences très graves pour le monde du travail. Le stress thermique affecte non seulement les travailleurs, en particulier ceux qui travaillent à l'extérieur, mais aussi les entreprises et donc nos économies.

Si nous devons apprendre à vivre avec des températures plus élevées, qu'est-ce que cela signifie pour le monde du travail? Comment les gouvernements, les entreprises et les travailleurs peuvent-ils s'adapter?

Transcription

[musique]

Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des Voix de l'OIT,

un podcast dans lequel nous parlons des problèmes et des enjeux

du monde du travail et des profondes

transformations qu'il est en train de vivre.

Je m'appelle Anders Johnsson et je travaille au sein

de l'Organisation Internationale du Travail à Genève.

Aujourd'hui, nous allons traiter d'un sujet qui fait la une des journaux

et qui préoccupe bon nombre d'entre nous depuis le début de l'été,

la chaleur et ses conséquences.

Juillet a été le mois le plus chaud

jamais enregistré sur l'ensemble de la planète.

Il est évident que ces températures toujours plus élevées

ont des conséquences énormes sur l'environnement,

mais elles ont également des conséquences très graves pour le monde du travail,

car le stress thermique affecte non seulement les travailleurs,

en particulier ceux qui travaillent à l'extérieur, mais aussi les entreprises,

donc nos économies.

Si nous devons apprendre à vivre avec des températures plus élevées,

qu'est-ce que cela signifie pour le monde du travail?

Pour le savoir, je suis accompagné de Nicolas Maître,

économiste au Département de la recherche de l'OIT.

Nicolas est également l'un des principaux auteurs

d'un récent rapport de l'OIT sur le stress thermique.

Nicolas, bienvenue sur le podcast.

Merci beaucoup de me recevoir.

Commençons par votre rapport sur le stress thermique.

Comment définir le stress thermique?

Qu'est-ce que c'est en réalité?

Quand on parle de stress thermique,

on parle d'une situation où il fait trop chaud

pour travailler, ou tout du moins, trop chaud

pour travailler à un rythme normal.

Il dépend non seulement de la température, mais aussi de l'humidité,

du rayonnement du soleil et du vent.

Le stress thermique représente un risque

pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Une défense naturelle du travailleur pour lutter

contre le stress thermique,

c'est de ralentir le travail,

prendre plus de pauses ou limiter le nombre d'heures de travail.

Toutes ces mesures, en quelque sorte, ont pour effet de réduire la productivité.

À partir de quelle température est-ce que le stress thermique

se manifeste-t-il, qu'il devient un problème?

Selon les estimations, le travail commence à ralentir,

donc la productivité commence à être perdue,

à des températures supérieures à 24 ou 26 degrés.

- Aussi bas que ça? - Aussi bas que ça, oui.

C'est vraiment là où on commence à perdre de la productivité, mais à 33-34 degrés,

la performance du travailleur peut chuter jusqu'à 50% suivant le type de travail.

Par exemple, dans les types de travail intenses physiquement.

Le stress thermique se produit-il

que si l'on travaille en plein soleil, par exemple?

Non. Il y a plusieurs facteurs

qui influencent le niveau de stress thermique.

En réalité, on peut dire qu'il y a deux catégories de facteurs:

les facteurs environnementaux d'un côté

et les facteurs liés au type de travail.

Concernant les facteurs environnementaux, il y a déjà la température,

mais ensuite il y a aussi l'humidité.

Plus il y a d'humidité, plus le sentiment de chaleur est présent.

Il y a aussi la radiation du soleil,

si on est directement exposée aux radiations du soleil ou pas,

et la vitesse du vent.

En termes de facteurs liés au type de travail,

le stress thermique se fait ressentir de manière

plus importante avec l'intensité physique,

donc l'intensité de l'effort physique du travailleur.

Il y a aussi les vêtements et les équipements

de protection qui peuvent jouer un rôle.

Les jobs où il est nécessaire de porter des vêtements

de protection plus épais rendent le risque plus important.

Il y a la chaleur produite par les machines

qui peuvent aussi jouer un rôle important.

Les secteurs qui sont normalement, je pense,

associés le plus avec le stress thermique, c'est l'agriculture et la construction,

là où les personnes généralement travaillent à l'extérieur.

D'après ce que vous êtes en train de dire,

le problème ne se limite pas vraiment seulement à ces deux secteurs.

Ça touche d'une manière ou d'une autre tout le monde.

Oui. En effet, de manière générale, on parle souvent de l'agriculture

et de la construction comme les deux secteurs à risque.

D'ailleurs les estimations le montrent bien.

On voit qu'au niveau mondial, 60% de toutes

les pertes de productivité sont perdus

dans le secteur de l'agriculture et 19% dans le secteur de la construction.

Ces deux secteurs sont vraiment à risque,

mais il ne faut pas oublier qu'il y a beaucoup de secteurs d'activité

dans l'industrie et dans les services qui peuvent être à risque.

Par exemple, on peut penser, dans le secteur manufacturier,

aux usines qui sont mal ventilées, sans air conditionné

et où il y a des machines qui créent elles-mêmes de la chaleur.

Aussi, aux travailleurs dans le traitement des déchets, dans le sport,

les militaires ou les officiers de police, par exemple.

Je me rappelle même, durant les pires moments de la pandémie de COVID,

il y avait des histoires d'infirmières, de docteurs,

avec toutes les protections qu'ils mettaient sur eux, avec la chaleur,

ils perdaient connaissance.

Exactement.

On peut penser aussi aux travailleurs dans les cuisines, avec les fours,

les plaques chauffantes, etc.,

qui créent beaucoup de chaleur et qui rendent

les conditions de travail difficiles.

Ça touche également les travailleurs de l'économie informelle,

les vendeurs de rue, etc., qui sont, d'une certaine manière,

ceux qui ont le moins de capacité d'adaptation, n'est-ce pas?

Oui, en effet. Pour ces travailleurs informels,

qui sont très souvent des travailleurs indépendants, une perte de productivité,

une réduction du temps de travail, une réduction de l'intensité de travail,

va se traduire directement en perte de revenus pour ces travailleurs.

Souvent, ce sont aussi des travailleurs qui n'ont pas accès

à des assurances accidents ou des assurances maladies.

Est-ce que ça les pousse à prendre plus de risques, d'une certaine manière?

Exactement.

Du fait que ça se traduit directement comme une perte de revenus,

ça va les pousser à prendre plus de risques,

à continuer à travailler malgré des conditions difficiles.

Derrière, avec un manque d'assurance maladie, d'assurance accident,

ça peut les mettre vraiment dans des situations terribles.

Lorsque l'on examine les pays les plus touchés,

on constate que ce sont souvent

ceux où il y a déjà des déficits en matière de travail décent.

Vous l'avez déjà mentionné, il n'y a pas de protection sociale.

Il y a beaucoup de travailleurs informels ou un grand nombre

de travailleurs qui travaillent dans la pauvreté.

Il s'agit d'une certaine manière aussi d'une question de justice sociale,

car le stress thermique accroît l'inégalité, n'est-ce pas?

C'est exactement ça.

Dans les estimations qu'on a pu faire dans notre rapport de 2019,

on a bien vu que les pays les plus affectés,

avec des pertes de productivité allant

jusqu'à 8% de toutes les heures de travail,

étaient souvent concentrés dans les régions

où il existe ce déficit de travail décent, avec, comme vous l'avez dit,

moins de protection sociale, plus de travailleurs vulnérables,

plus de travailleurs pauvres et un secteur informel important.

Par exemple, parmi les dix pays les plus touchés au monde,

huit d'entre eux font partie du groupe des pays

les moins avancés économiquement.

Ça exacerbe les inégalités, non seulement entre les pays, aussi au sein des pays,

parce que, comme on l'a dit, les travailleurs

informels dans l'agriculture,

etc., sont aussi les plus affectés.

Est-ce que nous devrions considérer le stress thermique

aussi comme une question de sécurité et de santé au travail?

Oui, bien sûr, c'est une problématique de sécurité et de santé au travail.

Un niveau de chaleur excessif peut entraîner

des risques accrus d'inconfort,

de lésions et de maladies pour le travailleur.

Il y a cet aspect direct de l'impact du stress thermique.

Ça peut aller de formes bénignes, comme une légère

insolation ou un coup de soleil, jusqu'à des formes plus graves

de déshydratation, même, dans certains cas,

des coups de chaleur potentiellement mortels, on l'a souvent entendu.

Il y a aussi des risques plus indirects du stress thermique qui sont liés

à l'augmentation du risque de blessure ou du risque d'accident.

On peut, par exemple, penser à la transpiration des paumes des mains

ou bien des lunettes de protection qui sont embuées,

mais aussi les vertiges qu'on peut avoir liés à la chaleur.

Il y a plus de chances que le travailleur fasse tomber

quelque chose sur lui-même ou se blesser à cause de ça?

Exactement. Il y a plus de risques d'accident.

J'ai lu récemment que, par exemple, en Grèce,

il y a des travailleurs qui se sont mis en grève à cause du fait qu'ils disent

qu'ils n'ont pas assez de protection dans les pires moments de la journée.

Ce n'est pas juste une question de se dire:

«Il fait trop chaud, entre guillemets,

c'est frustrant pour moi de travailler dans la chaleur»,

mais c'est vraiment quelque chose qui peut être très dangereux.

Oui, qui peut être très dangereux.

Ça, ça relève aussi l'importance du dialogue

social, quand on voit, justement,

qu'ils se mettent en grève.

Ça montre l'importance d'avoir une discussion

autour de ces problématiques entre les employeurs,

les travailleurs et les gouvernants.

Nous avons parlé des conséquences pour les travailleurs individuels,

mais il est évident aussi qu'il y a des conséquences pour les employeurs.

Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

Par exemple, je pense à l'effet du stress thermique sur la productivité.

Dans ce rapport de 2019 sur le stress thermique,

on a calculé l'impact du stress thermique sur la productivité au niveau mondial,

régional, mais aussi dans les différents pays du monde,

pour deux années: 1925 et 2030.

On a constaté qu'avec le changement climatique,

le stress thermique devient plus fréquent

et les pertes de productivité augmentent fortement.

En 2030, on estime qu'au niveau mondial,

2,2% de toutes les heures de travail

seront perdues en raison du stress thermique,

ce qui équivaut à une perte de 80 millions

d'emplois à plein temps.

- C'est énorme. - C'est important, oui. Entre 1925 et 2030,

on passe d'une perte de 1,4% à 2,2% de toutes les heures de travail,

ce qui montre l'effet du changement climatique

sur cette période entre 1925 et 2030.

Il faut aussi noter que ces estimations sont plutôt à la baisse,

parce qu'on se base sur un scénario d'augmentation

des températures de 1,5 degrés d'ici à la fin du siècle.

Ce sont des estimations très conservatrices.

Exactement, parce qu'on sait maintenant que la probabilité

qu'on dépasse les 1,5 degrés est très grande.

Que pouvons-nous faire à ce sujet?

Commençons peut-être par les travailleurs ou les employeurs.

Que peuvent-ils faire?

Les gouvernements, les employeurs

et les travailleurs doivent collaborer dans le cadre

du dialogue social pour mettre en œuvre des mesures d'adaptation.

Les travailleurs, les employeurs sont très bien placés pour mettre

en œuvre ces mesures sur le lieu de travail.

Par exemple, ils peuvent mettre en place des mesures,

tel qu'un nombre adapté de pauses quand il fait très chaud,

un accès adapté à l'eau, des horaires de travail mieux adaptés,

une rotation accrue des employés,

donc des travailleurs, mais aussi des vêtements,

comme on en a parlé, des vêtements plus adaptés.

Si on parle maintenant des travailleurs,

les travailleurs ont aussi un rôle à jouer.

Ils peuvent mettre en place différentes

actions individuelles pour réduire la chaleur, comme, par exemple,

boire fréquemment, mais aussi se surveiller entre eux.

S'assurer que le collègue n'est pas en train d'avoir un problème.

Exactement.

Aussi, ils peuvent faire part de leur préoccupation

vis-à-vis du stress thermique à leur employeur,

parce qu'ils sont mieux placés pour savoir

s'ils peuvent continuer de travailler ou non.

Ils peuvent aussi, j'imagine, donner des idées, des options,

des différentes choses qu'ils pourraient faire pour s'adapter?

Exactement.

Qu'est-ce que peuvent faire de plus les gouvernements?

Les gouvernements jouent un rôle très important en fournissant

des informations aux travailleurs et aux employeurs,

et en créant surtout un cadre juridique qui est approprié

pour protéger les travailleurs contre le stress thermique.

Par exemple, ils peuvent fournir des informations

sur les niveaux de chaleur à venir

pour mieux se préparer aux vagues de chaleur,

mais aussi sur les risques associés au stress thermique

et sur les mesures à prendre.

En plus de ça, ils peuvent aussi investir dans l'infrastructure

en développant des bâtiments plus adaptés aux chaleurs extrêmes

et des systèmes de prévention rapide qui permettent

de mieux préparer et prévenir les vagues de chaleur.

Je suppose que quelques-uns probablement vont dire:

«Faire tous ces changements que l'on recommande va coûter beaucoup trop cher.»

Quelle est la réponse à tout ça?

Je pense qu'il y a deux aspects dans la réponse.

La première, c'est que je pense qu'on n'a pas le choix,

parce qu'on voit bien que des situations

climatiques telles qu'on est en train de les vivre,

avec des températures avoisinant les 40-45 degrés

dans certaines parties de la planète,

ça nécessite de mettre en place des mesures.

Ce n'est pas des problèmes qui vont disparaître demain facilement?

Non, bien au contraire, ce sont des problèmes

qui vont s'accentuer avec le changement climatique.

La deuxième partie de la réponse,

c'est qu'il y a des pertes financières associées à ces pertes de productivité.

On estime justement que ces 2,2% d'heures de travail perdues d'ici

à 2030 équivalent à 2 400 milliards de dollars à l'échelle mondiale.

Ne rien faire, c'est beaucoup plus cher comparé

à l'adaptation nécessaire?

Exactement.

Lorsque vous avez commencé à travailler sur ce rapport,

c'était il y a quelques années, les gens, j'imagine,

ne parlaient pas vraiment beaucoup du stress thermique.

Soudain, en l'espace de quelques années,

ils se rendent compte que nous sommes confrontés

à ce problème tous les étés.

Est-ce que vous êtes surpris par la rapidité

avec laquelle ce phénomène est apparu?

Oui et non.

Je dirais que quand on a commencé

à travailler là-dessus, comme vous l'avez dit,

il y a 6 ans en arrière, ici à l'OIT, il y avait peu de littérature sur le sujet.

On n'en parlait pas beaucoup, les médias n'en parlaient pas tant que ça,

puis on a vu vraiment une croissance

exponentielle du nombre d'articles de recherches,

mais aussi d'une couverture médiatique beaucoup plus importante.

Je pense que c'est, d'une part, lié à la présence

du phénomène qui est lié au changement climatique.

On voit que les canicules, les vagues de chaleur, augmentent en fréquence,

augmentent en intensité et aussi en longueur

en Europe et dans les pays tempérés,

mais aussi dans d'autres parties du monde.

La deuxième chose, c'est qu'on est tous affectés.

Même si on n'est pas affecté directement,

peut-être quelqu'un n'est pas affecté directement,

il a forcément quelqu'un qu'il connaît, un ami, un collègue ou de la famille,

qui est affecté par le problème.

Ça touche réellement tout le monde et toutes

les couches de la population.

Je pense que ça explique

cet intérêt des médias pour le sujet.

J'imagine que vous êtes donc toujours en train

de faire des recherches là-dessus?

Oui, on continue à travailler sur le sujet.

On est actuellement en train de développer de nouvelles

recherches qui vont être publiées dans le futur.

On collabore beaucoup avec des experts mondiaux

sur le sujet pour développer ces recherches.

Génial.

Si vous voulez consulter le rapport sur lequel Nicolas a travaillé,

il s'intitule en français, «Travailler sur une planète plus chaude:

l'impact du stress thermique sur la productivité du travail et le travail décent».

Vous pouvez le trouver sur le site Web de l'OIT.

Nicolas, merci beaucoup de vous être joint à nous.

Merci beaucoup. Merci pour l'invitation.

Bonne chance dans la poursuite de vos recherches.

Merci.

À notre public, je vous remercie de nous avoir écoutés

et j'espère que vous nous rejoindrez bientôt

pour un autre podcast de l'OIT sur l'avenir du travail.

Au revoir.

[musique]