[musique]
Intervieweur: Bonjour et merci de nous rejoindre
dans ce nouvel épisode du podcast de l'OIT sur l'avenir du travail.
Je m'appelle Guebray Berhane, basé à Genève, à l'Organisation internationale du Travail.
Aujourd'hui, nous allons nous consacrer au travail domestique,
qui est un travail de soin, mais il est grand temps,
comme le préconisent l'OIT, ses partenaires et nos deux invitées aujourd'hui,
d'en faire un travail décent.
Aujourd'hui, plus de 75 millions de personnes
dans le monde sont des travailleurs domestiques.
Ils s'occupent de nos maisons, ils s'occupent de nos familles.
Pourtant, 80 % de ces personnes vivent sans aucune sécurité sociale
et en l'absence d'un contrat de travail.
Pire, leur travail reste méconnu, inapprécié, non protégé.
Pour évoquer les défis rencontrés par les travailleurs domestiques dans le monde,
nous avons le plaisir d'accueillir Claire Hobden,
une spécialiste du travail domestique
à l'Organisation internationale du Travail, et Essi Yayra Kotor,
qui est Togolaise, ancienne travailleuse domestique et aujourd'hui
chargée de programme à la Fédération Internationale
des Travailleurs Domestiques.
Claire et Essi, bienvenue au podcast de l'OIT.
Claire Hobden: Bonjour.
Essi Yayra Kotor: Merci.
Bonjour.
Intervieweur: Merci à vous.
Merci également de prendre part à ce podcast.
Je suis tenté de vous demander à toutes les deux,
d'entrée de jeu, si nous avons toutes et tous une lecture commune
de ce qu'est le travail domestique?
C'est une réalité de tous les jours.
Avons-nous une définition qui vaut pour l'ensemble de nos continents?
Claire: Si je peux me permettre, pour commencer,
il y a une définition internationale du travail domestique
qui est inscrite au sein de la convention 189 sur le travail décent
pour les travailleurs et travailleuses domestiques.
Cette définition est simplement que le travail domestique
est tout travail qui a lieu au sein du ménage privé de l'autrui.
Cela peut comprendre toute une série de tâches,
que ce soit des tâches ménagères, du soin à la personne
ou aussi beaucoup d'autres tâches par exemple
que l'on ne peut pas forcément prévoir,
car elles dépendent beaucoup du contexte national.
Ce que l'on peut dire, c'est qu'une grande majorité des travailleuses
et travailleurs domestiques font effectivement des tâches de soins directs,
des soins à la personne et aussi des soins, comme on dit,
en direct, qui sont le ménage par exemple,
la cuisine et toutes les autres tâches qui vont faire en sorte
qu'on peut vivre dans un contexte sain.
Intervieweur: Dans de nombreux pays,
on voit que la demande pour des services de garde d'enfants,
les soins de personnes âgées ne cesse de croître.
Comment cette demande est-elle satisfaite?
Qui répond vraiment à cette demande?
Est-ce qu'on a des mesures pour y répondre?
Je vous demande cela parce que d'un côté,
vous avez cette demande croissante de soins et de l'autre,
vous avez cette nécessité d'améliorer les conditions,
la rémunération et le statut des travailleurs domestiques
qui sont au cœur de ces services de soins essentiels.
Claire: Effectivement, il y a une demande croissante de ce genre de soins.
Il y a une demande croissante dans le cadre des soins en général.
Ça, ça va bien au-delà du travail domestique.
Ce que l'on trouve,
c'est que les travailleurs domestiques représentent quand même à peu près 1/4
de l'ensemble des travailleurs de soins.
Ceci est au niveau mondial.
Après, au niveau régional, ça peut changer énormément.
J'espère que ma collègue Essi répondra un peu
sur comment se passent les choses en Afrique.
En tout cas, dans beaucoup de pays,
nous voyons que quand il y a une absence de politique de soins,
par exemple pour la garde des enfants
ou des personnes âgées en manque d'institutions,
il y a une demande encore plus importante de travail domestique.
Ce travail a tendance à être informel.
Il a tendance à être fait dans des conditions de travail plus précaires
à cause de cette informalité: sans contrat de travail,
avec des heures de travail très longues ou irrégulières
et avec des salaires très bas.
Intervieweur: Merci Claire.
Essi, vous, je l'ai rappelé au début,
vous êtes une ancienne travailleuse domestique,
mais aujourd'hui, vous êtes chargée de programme
à la Fédération Internationale des Travailleurs Domestiques.
Est-ce que vous pouvez nous faire part de votre parcours personnel,
de vos expériences, notamment dans le secteur
du travail domestique, et peut-être nous expliquer comment cela vous
a emmené à défendre les droits des travailleurs et travailleuses domestiques?
Essi: Merci beaucoup.
Pour commencer, je ne vais plus me présenter, comme vous l'avez déjà fait.
Je peux dire que j'ai commencé
par faire le travail domestique depuis 2009 où je fréquentais,
où à un moment donné il faut payer les scolarités.
Je vois que mes parents n'avaient pas tellement de moyens,
mais j'aimais l'étude.
Tout de suite, je me suis lancée dans ce travail.
J'ai vu que prendre soin de quelqu'un, faire le travail domestique,
vraiment, c'est un travail noble, et ce travail doit être un travail décent.
En 2011, je suis rentrée dans le Syndicat National des Travailleurs Domestiques.
Partant de là, j'étais vraiment fière de voir qu'il y a un syndicat des domestiques.
Quand bien même si l'État n'a pas ratifié une convention,
cela n'empêche pas d'avoir quand même le syndicat des domestiques.
Tout de suite, je suis rentrée dedans.
Vu comment nous recevons des formations de la part de UITA,
tout de suite, j'ai représenté mon syndicat à l'international en 2014,
au Burkina, pour la mise en place du réseau africain des travailleurs domestiques.
C'est là, j'ai beaucoup compris aussi que le travail domestique,
c'est un travail noble.
C'est tout un mélange de choses.
Dans un ménage où se trouve votre bureau,
c'est-à-dire quand les patrons ne sont pas là,
votre bureau, c'est leur maison, c'est dans les cuisines,
c'est dans les toilettes, c'est au moment de donner les médicaments aux enfants.
Moi-même particulièrement, j'étais en charge de deux enfants.
Mon patron est togolais et sa femme est allemande.
Avec tous les caprices des enfants,
si le moment est là pour donner les médicaments,
certes, on les amène à l'hôpital où le docteur diagnostique la maladie,
il donne les médicaments, quitte à vous, maintenant de leur donner à l'heure.
Si c'est fini, s'il faut reprendre, tout ça, c'est à votre charge.
J'ai continué toujours par travailler.
En 2016, je faisais partie des membres du comité exécutif de SYNADOT
où j'ai toujours continué par représenter mon syndicat
de la manière dont je peux représenter le syndicat
sur le plan national et international.
En 2018, j'ai été élue sécrétaire générale.
J'ai encore mis sur mes épaules tout le travail que nous devons faire,
surtout pour le lobbying auprès du gouvernement.
Quand bien même si la convention n'est pas ratifiée,
nous pouvons profiter d'avoir les salaires minimums
qui peuvent vraiment épanouir les travailleurs domestiques dans leur travail
pour l'amélioration de leurs conditions de travail et de vie,
nous avons fait tout ce combat-là.
C'est en 2020 que FITD m'a proposé ce poste.
Je n'ai pas hésité, j'ai fait le stage d'un an avec eux.
J'ai été soumise à un test d'évaluation écrit comme audio.
Tout cela m'a permis d'avoir ce poste et jusqu'à ce jour,
je suis chargée de programme de l'Afrique francophone
et nous travaillons toujours pour la cause des travailleurs domestiques.
Intervieweur: Merci pour votre témoignage vraiment très poignant.
Vous avez évoqué le continent africain,
est-ce qu'on peut à proprement parler du travail domestique comme un travail de soin?
Est-ce qu'il est reconnu en ce sens?
On sait que les travailleurs domestiques travaillent souvent
dans des conditions informelles et difficiles.
Vous avez raison.
Ce serait peut-être un peu intéressant de nous éclairer sur les défis,
les obstacles auxquels les travailleurs domestiques sont confrontés
pour accéder à des conditions de travail décentes et à des protections sociales.
Essi: Merci beaucoup pour la question.
Dire que le travail domestique est reconnu comme un travail de soin,
c'est difficile.
C'est non, parce que tout d'abord,
les travailleurs domestiques ne sont même pas reconnus
dans leur pays comme des travailleurs en tant que travailleurs comme les autres.
C'est pour cela nous luttons pour la ratification de la convention 189.
Si cette ratification est faite, les travailleurs domestiques peuvent continuer
à demander beaucoup de choses qui sont inclues dans cette convention.
Néanmoins, cela n'empêche que nous continuons par demander
s'il faut avoir la protection sociale, s'il faut avoir le salaire minimum,
s'il faut avoir le congé de travail, s'il faut avoir le contrat de travail, tout ça.
Rien ne sert aussi de ratifier cette convention
si elle ne sera pas mise en œuvre pour la défense des domestiques.
C'est pour cela que la lutte continue toujours.
Les défis auxquels font face les travailleurs domestiques,
c'est qu'au prime abord, il n'y a pas de contrat de travail
et tout se repose sur le contrat de travail.
Si les travailleurs domestiques ne sont pas formalisés à avoir un contrat de travail,
ça porte à croire que tout de suite, cette domestique est en danger
au moment où elle sera malade, au moment où elle va tomber enceinte,
au moment où elle va vouloir se reposer.
Tout ça devait être inclus dans le contrat de travail.
Ça, c'est un des défis très importants auquel nous faisons face.
L'autre défi, c'est la déclaration des travailleurs domestiques
à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale ou de les déclarer
dans une mutuelle de santé pour avoir la protection sociale,
quelque chose qui n'est pas effectif dans la région de l'Afrique.
Le travail domestique en Afrique inclut tout autre travail dans le ménage,
en sorte que quand vous vous levez,
vous ne savez même pas à quelle heure vous allez vous coucher.
Il n'y a même pas d'heures de repos.
Si votre patron n'est pas couché, vous n'êtes pas couché,
mais vous devez vous lever pour préparer tout avant qu'eux, ils ne se lèvent.
J'ai parlé des cas des enfants.
C'est la même chose au niveau des personnes âgées.
S'ils sont dans la maison, s'ils vivent avec vous,
vous êtes en charge de tout ça.
Les heures ne sont pas réglementées.
Même si vous faites des heures supplémentaires, même les samedis,
les dimanches où les travailleurs domestiques doivent se reposer,
et voilà que vous avez des invités qui vont se loger avec vous,
la patronne dit «vous devez être là au service».
Tout ça, ils ne paient pas.
Normalement, cela doit être rémunéré, les heures supplémentaires,
mais rien de tout cela, pas de prime, pas de bonus.
Il n'y a pas de motivation venant de la part des employeurs
pour dire que: «De la manière dont vous travaillez,
voilà un bonus, voilà la motivation, prenez ceci.»
parce que vous aussi,
vous avez besoin de ce travail pour avoir quelque chose,
pour subvenir à vos besoins familiaux, vous êtes obligé de le faire comme ça.
Intervieweur: Merci pour ce rendu du terrain.
C'est vraiment très explicite.
Merci à vous.
Vous avez évoqué la convention 189 de l'OIT.
Elle a été adoptée il y a plus de 10 ans en effet.
Voyons un peu à l'international.
Comment se fait-il que le rôle des travailleurs domestiques soit encore sous-évalué?
Peut-être quelles sont les mesures qu'on pourrait prendre
pour garantir que leur contribution vitale à l'économie
des soins soit reconnue, soit appréciée à sa juste valeur?
En gros, ce que je vous demande,
c'est quel est le rôle de la convention 189 dans le futur
de l'économie des soins?
Peut-être Claire, vous pouvez nous éclairer?
Claire: Effectivement,
on peut dire qu'il reste encore une sous-évaluation importante
du travail domestique et de la main-d'œuvre.
La convention a été un moment important, l'adoption
de cette convention qui a reconnu pour la première fois
au niveau international le fait
que le travail domestique était un secteur qui avait une valeur.
Après, pendant 10 ans, on a eu pas mal de progrès.
On les a mesurés dans une publication qui est parue en 2021.
On a pu mesurer les progrès.
Il y a eu beaucoup de changements au niveau des lois.
De nombreux pays ont adopté des nouvelles lois
pour reconnaître le travail domestique, pour assurer une certaine protection légale.
Mais effectivement, comme le dit Essi, l'adoption de la loi,
c'est une chose ou la ratification de la convention,
c'est une chose, mais le fait de voir des changements au niveau de la société,
c'est quelque chose qu'il reste encore à voir.
Nous voyons que les conditions des travailleurs domestiques
ne changent pas encore pour la grande majorité des travailleurs
et travailleuses domestiques.
Je pense que c'est une bonne question que vous nous posez,
qu'on doit tous se poser.
Pourquoi est-ce que cela ne change pas?
Il faut qu'on se pose cette question
parce que c'est un travail qui est absolument essentiel,
qui a lieu tous les jours dans tous les ménages privés, partout dans le monde.
Pourtant, on ne le reconnait pas en tant que tel.
Pourtant, si les travailleuses domestiques ne venaient pas au travail,
si elles ne s'occupaient plus des enfants,
si elles ne s'occupaient plus du ménage,
je pense qu'on rentrerait tous chez nous avec le double
du travail à faire et on se rendra très vite compte de la valeur ajoutée
de ce travail à la société, à nos familles et à l'économie au final.
Je pense que ça reste une question très urgente et qu'en allant de l'avant,
quand on voit qu'il y a des pays et des régions justement
où il y a cette demande croissante de soins,
il y a en fait dans beaucoup de pays une crise qui s'annonce,
en particulier à cause du vieillissement des sociétés, de la population.
Comment va-t-on s'occuper de ces personnes-là?
Quelle est la main-d'œuvre qui va s'en occuper
et comment est-ce qu'on peut assurer un travail décent
pour ces travailleurs et travailleuses?
Il y a beaucoup de travailleurs et travailleuses
de soin dans d'autres secteurs, dans les hôpitaux,
les résidences pour les personnes âgées, les gardes d'enfants.
Toutes ces institutions-là vont jouer un rôle important,
mais il restera, comme dans beaucoup de pays, une demande très forte de soins à domicile.
C'est là où le travail domestique va venir s'inscrire,
répondre à ces besoins et je pense que c'est la responsabilité de chaque ménage,
mais aussi de chaque gouvernement, d'assurer un travail décent pour ces personnes-là.
Intervieweur: Globalement, les femmes et les hommes qui opèrent
dans le secteur des soins à autrui, on parle de 249 millions de femmes,
132 millions d'hommes et cela inclut les 75,6 millions
de travailleurs et travailleuses domestiques.
Vous savez que la journée internationale des soins
et de l'assistance doit se tenir pour la première fois ce 29 octobre.
Est-ce que vous pourriez expliquer l'importance
de cette journée pour celles et ceux qui fournissent des services
de soins et en particulier pour les travailleurs et les travailleuses domestiques?
Essi: Oui.
Je suis très contente d'apprendre qu'il y aura la célébration
de cette journée de la reconnaissance du travail de soin,
parce qu'une fois que cette journée sera célébrée,
nous allons commémorer cette journée tous les ans et partant de là,
nous allons faire savoir qu'à part le travail domestique qui est le ménage,
il y a aussi le travail de soin qui est inclus,
mais qui n'est pas rémunéré, qui est ignoré.
Peut-être la population, le gouvernement,
ils vont prendre conscience de ce que nous sommes en train
de dire sur l'économie des soins.
La convention 189 a été adoptée à Genève en 2011.
Partant de là, tous les pays,
tous les États réunis ont pris conscience de cette convention.
Quand même, cette convention n'est pas ratifiée comme nous le voulons,
ils savent qu'il y a eu une convention et quand nous luttons,
ils écoutent, ils savent que, vraiment, il y a quelque chose.
Il y a les travailleurs domestiques qui frappent à une porte et un jour,
je suis sûre que cette porte sera ouverte dans le monde.
Cette journée internationale de l'économie
de soins va être encore une bataille de plus que nous allons mener ensemble,
et ils vont prendre conscience vraiment de ce que nous sommes en train de dire.
Nous allons continuer la lutte pour que nous ayons ce que nous voulons.
C'est tout ce que je peux dire.
Je suis très contente pour cette journée et nous allons célébrer cela tous les ans,
les commémorer, faire des manifestations pour ça.
Intervieweur: Merci Essi.
Claire, vous avez un avis peut-être sur ce sujet?
Claire: Oui, tout à fait.
Cela va être un très beau jour à célébrer.
On en aura un en juin pour célébrer l'adoption de la convention 189 et maintenant,
une autre journée qu'on pourra célébrer en octobre.
Je pense que c'est aussi l'occasion
de faire passer certains messages clés qui sont justement
que les travailleurs et travailleuses domestiques doivent être protégés,
non seulement en termes de personnes
qui livrent justement le travail de soin,
donc, ils doivent être inclus dans les politiques qui sont adoptées
pour assurer le soin de l'autrui.
Deuxièmement, que ces personnes-là,
que les travailleurs et travailleuses domestiques
doivent bénéficier du travail décent et troisièmement,
que les travailleurs et travailleuses domestiques ont
eux aussi des responsabilités de soins non payées comme le dit Essi.
C'est des gens qui ont des familles eux-mêmes et elles-mêmes,
avec des responsabilités, qu'elles et eux aussi vont avoir besoin
d'accès aux services de soins abordables, accessibles et de bonne qualité.
Il faut vraiment prendre en compte les travailleuses
et travailleurs domestiques à ces trois niveaux-là.
Une bonne façon de commencer, c'est effectivement
par l'adoption de la convention 189 qui doit rester un pilier fondamental
dans toute démarche pour assurer un futur de travail de soin décent.
Intervieweur: Merci beaucoup Claire Hobden et Essi Yayra Kotor.
Merci beaucoup pour votre expertise, vos solutions,
vos propositions concrètes, vos recommandations à suivre aussi.
Claire: Merci.
Essi: Merci.
Intervieweur: On a également énormément appris sur, notamment,
les mesures pour garantir que les travailleurs domestiques
ne soient pas exclus des lois sur le travail
et la Sécurité sociale ou des politiques
de soins comme vous venez de le signaler.
Merci à vous.
À notre public aussi, merci de nous avoir rejoint pour ce podcast.
Si vous souhaitez plus d'informations sur le travail domestique
et l'économie des soins,
consultez notre site web à l'adresse voices.ilo.org et j'espère
que vous nous rejoindrez à nouveau lors du prochain épisode du podcast
de l'OIT sur l'avenir du travail.
Merci.
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