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Points de vue sur le monde du travail
Photo: ILO/OIT Naymuzzaman Prince
Sécurité et santé au travail

Depuis l’effondrement du Rana Plaza, je contribue à prévenir d'autres tragédies

Le 24 avril 2013 avait commencé comme une journée ordinaire au service des sapeurs-pompiers de Dhaka où je travaillais comme pompier. Quand la sirène a retenti à 10 heures, personne n’avait la moindre idée de la catastrophe qui venait de se produire. L’immeuble du Rana Plaza s’était effondré. Quand nous sommes arrivés sur le site, il y avait des victimes partout.

Cinq d’entre nous ont formé une équipe chargée de conduire les opérations de sauvetage dans les zones difficiles à atteindre.

J’ai dû percer à travers un toit pour sauver une victime des décombres. J’ai réussi à m’enfoncer dans les gravats par des canaux étroits grâce à mon petit gabarit. Nous avons travaillé par équipes de 12 heures. J’ai travaillé ainsi pendant trois jours.

Des membres du service de lutte contre les incendies de Dhaka transportent une femme blessée sortie des décombres. En arrière-plan, le bâtiment détruit du Rana Plaza.

En raison de l’ampleur de la catastrophe, les pompiers de toute la ville de Dhaka et des districts environnants ont été appelés en renfort. Avril 2013.

© ILO/OIT Naymuzzaman Prince

Chaque seconde était une question de vie ou de mort. Des morceaux du bâtiment continuaient à tomber. C’était très dangereux. A n’importe quel moment, l’un d’entre nous aurait pu mourir pendant l’opération de sauvetage.

Notre tâche était de chercher des victimes à divers endroits du site où le bâtiment s’était écroulé, dans différentes cavités au sein des décombres. C’était sombre et dangereux et nous disposions de peu d’oxygène. Nous utilisions un microphone pour appeler: «S’il y a quelqu’un de vivant, faites du bruit». Nous repérions et secourions des blessés un par un.

Avec l’aide de mes collègues, j’ai personnellement sauvé plus de 30 personnes.

Je me souviens avoir secouru une victime qui se trouvait sous les débris. L’une de ses mains était coincée derrière un pilier; une dizaine de morts étaient éparpillés autour d’elle. Certains ont suggéré de lui couper la main mais j’ai insisté pour qu’un docteur vienne et lui injecte un anesthésiant dans la main pour l’engourdir afin que nous puissions l’extraire des décombres. Malheureusement, le docteur n’a pas pu entrer dans le conduit étroit et dangereux et a dû nous passer la seringue. J’ai fait l’injection à l’homme et je l’ai sorti des gravats sans trop de dommages pour sa main.

Des feux se déclaraient en divers endroits de la structure écroulée et un collègue et moi avons été déployés pour secourir des victimes piégées sous 20 mètres de gravats. Nous devions pulvériser de l’eau en permanence pour empêcher la fumée de nous tuer pendant notre descente. Puis, tout à coup, l’alimentation en eau s’est arrêtée et nous avons été engloutis par la fumée: nous ne pouvions plus respirer. Nous avons appelé au secours et avons rapidement perdu connaissance. Nous avons été secourus et envoyés à l’unité de soins intensifs de l’hôpital. Une dizaine d’heures plus tard, j’ai ouvert les yeux.

Mohamed Abdur Rob, en uniforme de pompier et casque rouge, porte une victime blessée après un incendie à Tongi, Dhaka. Une foule agitée l'entoure.

J’ai participé à des missions de sauvetage sur plus d’une centaine d’accidents de ce type, y compris le Rana Plaza, l’incendie de Tazreen Garments et ici dans une usine de prêt-à-porter à Tongi, Dhaka. Pendant ma carrière chez les sapeurs-pompiers de Dhaka, j’ai reçu des médailles du Président et du Premier ministre pour ma bravoure et mon dévouement. Septembre 2016.

© Prothom Alo

Pendant l’opération de sauvetage, j’ai remarqué que la structure du bâtiment du Rana Plaza n’était pas correctement construite et que les mesures de protection étaient insuffisantes. J’ai aussi appris que des travailleurs avaient remarqué des fissures dans le bâtiment et voulaient le quitter avant qu’il ne s’effondre, mais qu’on les avait obligés à rester à l’intérieur. La catastrophe du Rana Plaza était principalement due à un manque de sensibilisation aux mesures de sécurité et aux dangers potentiels.

Je voulais agir pour l’industrie de la confection afin de ne plus revoir de tragédies comme celle du Rana Plaza à l’avenir. Plutôt que de participer aux efforts de sauvetage après un accident, j’ai d’abord voulu empêcher que de telles catastrophes ne se produisent.

Aussi, en 2017, j’ai pris une retraite anticipée du département de lutte contre les incendies et j’ai commencé à travailler comme agent de sécurité incendie pour une entreprise de prêt-à-porter, Dekko Design Limited.

Je supervise aujourd’hui une équipe composée de cinq personnes qui comprend notamment un contrôleur de la sécurité incendie, un pompier, un technicien et un ingénieur-incendie.

Je voulais agir pour l’industrie de la confection afin de ne plus revoir de tragédies comme celle du Rana Plaza à l’avenir.

Mohamad Abdur RobResponsable sécurité incendie

Les agents de sécurité incendie sont essentiels dans toutes les usines car les accidents ne donnent pas forcément de signal d’alerte. Ils peuvent se produire n’importe où, n’importe quand.

Je suis le secrétaire du comité de sécurité incendie. Nous conseillons les travailleurs et la direction de l’usine en faisant de la sensibilisation, en renforçant leur capacité à réduire ensemble les risques grâce à des mesures appropriées, et en faisant évoluer les comportements afin que tout le monde soit conscient des risques et soit capable de prévenir et réagir à un éventuel incendie.

Mohamed Abdur Rob inspecte une lance à incendie installée contre le mur. A l’arrière-plan, des travailleurs attendent l’ouverture de l’ascenseur.

Je contrôle tous les types de mesures de sécurité incendie dans mon usine.

© ILO/OIT Naymuzzaman Prince

A chaque étage de l’usine, j’ai installé toutes les mesures les plus récentes en matière de prévention et de sécurité: des détecteurs de fumée, des portes coupe-feu et des extincteurs. Nous avons différentes sortes d’extincteurs à chaque étage en fonction du type de danger. Nous avons dit à nos collègues en charge de l’électricité d’éteindre le système électrique depuis le poste de contrôle central en cas d’incident, de sorte que, même si un ouvrier oublie d’éteindre quelque chose, un système secondaire s’en chargera. Nous organisons des formations chaque semaine, en utilisant les ressources internes et en faisant appel à du personnel du service incendie. Nous effectuons régulièrement des exercices d’évacuation, au moins deux fois par an.

Les mesures préventives sont indispensables sur tous les lieux de travail, notamment dans les usines de confection. Les accidents peuvent être évités si nous identifions le risque, si nous nous préparons et prenons à l’avance les précautions qui s’imposent. Cela nous aidera à sauver des vies, de l’argent et des biens de valeur, tout en veillant à ne perdre aucun de nos proches.

Mohamed Abdur Rob montre à une ouvrière comment utiliser un extincteur. D’autres travailleurs participant à la formation les regardent.

Nous organisons régulièrement des sessions de formation sur la prévention incendie avec les travailleurs de l’usine de confection.

© ILO/OIT Naymuzzaman Prince

Le programme Better Work de l’OIT joue un rôle important pour nous. Son équipe rend régulièrement visite à nos usines afin d’inspecter les mesures de sécurité incendie et d’autres aspects du lieu de travail. Better Work a organisé plusieurs formations pour mes collègues et moi-même. J’ai travaillé avec les conseillers d’entreprise de Better Work qui m’ont aidé à faire de la sensibilisation. Parfois, malgré nos efforts, des lacunes subsistent.

Cependant, grâce aux inspections et aux évaluations rigoureuses de Better Work, nous pouvons identifier les lacunes et prendre des mesures pour y remédier.

La bonne nouvelle, c’est que la situation dans les usines d’habillement s’est nettement améliorée. Les ouvriers, la direction et tous les autres travailleurs communiquent désormais entre eux, et lorsque tout le monde est consulté, des solutions aux problèmes sont trouvées spontanément. Si nous travaillons ensemble, nous pouvons relever tous les défis, qu’il s’agisse de la sécurité incendie ou de n’importe quel autre problème.

Pour moi, mon travail est une grande source de satisfaction, être au service des autres et sauver des vies. C’est ma plus grande réussite dans la vie.

Plan large d’un atelier de l’usine de prêt-à-porter. Des rangées de personnes travaillent sur des machines à coudre. Au premier plan, un panneau vert indique la sortie de secours.

L’usine emploie plus de 500 personnes. Dans mon travail, j’insiste toujours pour dire que la sécurité n’est pas de ma seule responsabilité. Tout le monde doit s’impliquer et si quelqu’un remarque des risques ou des défauts, il sait qu’il peut venir m’en parler.

© ILO/OIT Naymuzzaman Prince

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