Voices
Points de vue sur le monde du travail
© Dominic Chavez/World Bank

Podcast l'avenir du travail

Episode 53
Perspectives pour le monde du travail

Tendances mondiales de l’emploi: les défis et les opportunités pour 2025

20 janvier 2025
00:00

Dans ce nouvel épisode du podcast de l’OIT, nous explorons les tendances de l’emploi pour 2025. Le dernier rapport de l’OIT - Emploi et questions sociales dans le monde: Tendances 2025, (WESO Trends)- révèle des défis majeurs, tels que l’impact des tensions géopolitiques, les coûts croissants liés au changement climatique et les défis de l’intelligence artificielle.

Avec Ekkehard Ernst, coauteur du rapport et responsable du département de macroéconomie au sein de l’unité de recherche de l’OIT, nous discutons des opportunités dans les secteurs verts et numériques, ainsi que des actions nécessaires pour améliorer les perspectives d’emploi.

Transcription

[musique]

Bonjour et bienvenue dans ce nouveau podcast de l'OIT

sur l'avenir du travail, le premier de 2025.

Comme nous sommes en janvier, nous allons parler

des tendances de l'emploi pour l'année.

Dans son dernier rapport, l'OIT estime que les tensions géopolitiques,

les coûts croissants du changement climatique

et les problèmes de dette non résolus

mettent les marchés du travail sous tension.

Autre conclusion, les salaires réels n'ont augmenté

que dans certaines économies avancées et la plupart des pays

se remettent parfois encore difficilement des effets de la pandémie

et surtout de l'inflation.

Finalement, la participation au marché du travail diminue,

en particulier chez les jeunes.

Nous enregistrons ce podcast juste avant la réunion

du Forum économique mondial de Davos qui,

comme vous le savez, réunit tous les ans le gratin du monde économique,

politique et des idées

dans cette charmante station de ski suisse.

Ça va être aussi pour nous une occasion aussi d'analyser

ce qui peut être fait à l'international au niveau de ces grands dirigeants

sur les questions de l'emploi,

mais nous allons y revenir un peu plus tard.

Pour parler de tous ces sujets,

nous avons avec nous aujourd'hui Ekkehard Ernst,

qui est responsable de l'unité macroéconomique

au sein du Département de recherches de l'OIT

et auteur du rapport dont nous parlions sur les grandes tendances de l'emploi

et des questions sociales.

Ekkehard est un peu notre oracle en ce qui concerne toutes choses

sur l'emploi.

Bonjour, Ekkehard, et merci d'être avec nous aujourd'hui.

Bonjour, Isabel. Merci de m'avoir invité.

Rentrons dans le vif du sujet.

Pourquoi la reprise du marché du travail s'essouffle-t-elle

un petit peu en 2025?

D'abord, il faut dire que pour l'instant, on voit principalement

une tendance stable.

Le chômage global ne s'améliore pas, mais ne s'empire pas non plus,

donc on a vraiment une tendance stable, principalement

parce que la croissance économique globale aussi n'a pas vraiment vu

ni une accélération ni une diminution.

On voit vraiment une stagnation sur les tendances.

En dessous de ces tendances globales, on voit quand même

une grande hétérogénéité.

Certains pays qui bénéficient énormément de cette reprise mondiale

après la pandémie et d'autres qui restent vraiment collés

à un taux de chômage important, et surtout avec une qualité de travail

qui ne s'améliore pas, notamment dans les pays à faible revenu.

Ils n'ont pas réussi à surmonter l'obstacle de la pandémie

et éventuellement des problèmes qu'ils avaient déjà.

Curieusement, la pandémie a été très bien absorbée

par la plupart des pays.

Ce qu'il y a, c'est que dans beaucoup de pays,

l'amélioration au-delà de la pandémie ne s'est pas présentée.

Ce qu'on voit, c'est que depuis 2015, dans certains pays,

on n'a aucune amélioration ni en termes de pauvreté au travail

ni en termes de formalité, ni en termes de chômage.

Là, on voit vraiment que cet objectif de 2030 de réduire

l'informalité, la pauvreté au travail ne va pas être atteint si

on continue au même rythme.

C'est d'ailleurs l'une des choses que vous soulignez

dans le rapport de septembre 2024 que l'on est à 5 ans maintenant

des objectifs de 2030 et qu'à moins que quelque chose se fasse

un petit peu plus urgemment, on ne va sûrement pas atteindre

ces objectifs, n'est-ce pas?

Oui, absolument. Surtout ce qu'on voit, c'est que tout ce qui est nécessaire

pour justement améliorer encore les conditions de travail ne

se présente pas.

On voit que la productivité au travail diminue,

continue à s'affaiblir et surtout dans beaucoup de pays

à faible revenu,

leur amélioration

devrait normalement venir d'un changement structurel.

C'est-à-dire que les gens,

théoriquement, devraient sortir des secteurs

à faible productivité, notamment dans l'agriculture,

pour intégrer l'industrie ou les secteurs services modernes.

Ça, ça ne se fait plus.

Le changement structurel est en train de se réduire.

Dans certains pays même,

on voit la tendance inverse, c'est que les gens

retournent vers l'agriculture et donc vers des activités à faible productivité

et avec des conditions de travail qui s'empirent.

Justement, qu'est-ce qui explique un peu cette stagnation?

Quels sont les principaux défis qu'on va voir pour cette année

sur les marchés de l'emploi à niveau mondial?

L'incertitude économique reste

prépondérante.

C'est-à-dire qu'on a un investissement qui reste relativement faible,

notamment dans ces pays-là.

On a aussi

la croissance économique qui souffre un peu,

notamment de l'inflation et de la politique monétaire

qui a été imposée ces dernières années.

Beaucoup de pays, notamment à faible revenu,

n'ont pas la capacité de justement accélérer

leur croissance et accélérer justement leur intégration

dans l'économie internationale.

L'une des choses que vous soulignez dans le rapport,

c'est aussi un peu l'incertitude géopolitique,

tous les jours amènent des nouvelles vraiment assez incroyables.

J'imagine que ça, ça ajoute aussi à l'incertitude dont vous parlez.

Absolument.

Comme vous avez indiqué au départ, il y a l'incertitude géopolitique.

Il y a aussi le changement climatique qui affecte énormément de pays,

et puis la confluence de ces différents facteurs

qui fait que la croissance ne s'accélère pas.

Elle devrait être beaucoup plus forte pour justement combler aussi l'écart

qui a été creusé par la pandémie, et ça, ça ne se fait pas.

C'est principalement les pays à faibles revenus qui souffrent le plus

de cette incertitude.

Parce que c'est très difficile de se projeter dans l'avenir,

donc de faire des investissements, de créer de nouvelles entreprises,

justement du fait de cette confluence de facteurs.

Tout à fait.

On parle aussi d'une situation dans le rapport qui est celui,

particulier, du chômage des jeunes.

Vous dites donc que le chômage des jeunes a évolué,

reste un problème majeur.

On peut aussi ajouter que le nombre de ceux

qui ne suivent pas d'études d'emploi ou de formation,

les fameux NEET, comme on dit en anglais, augmentent tout particulièrement

dans les pays à faible revenu.

Comment se fait-il qu'en particulier le chômage des jeunes

qui devrait être quand même le moteur du marché de l'emploi est

dans cette situation?

De prime abord, il faut dire que le chômage des jeunes,

de toutes les manières, reste toujours plus important

que pour les adultes.

C'est une tendance globale qui n'est pas spécifiquement

un problème pour certains pays.

On parle aujourd'hui globalement

d'un chômage des jeunes de 12% au lieu de 5% pour le chômage total,

donc plus que le double.

Ensuite, il faut dire ce qu'il en est, c'est qu'il y a beaucoup de pays

qui souffrent du fait qu'ils n'ont pas un système éducatif qui vraiment permet

aux jeunes d'intégrer rapidement le marché du travail.

Il y a beaucoup de jeunes

qui vont avoir un premier travail, qui vont retourner à faire des études.

Ils vont se retrouver pendant certaines périodes sans emploi

et sans formation et donc ce problème se multiplie.

Plus vous accumulez des périodes de chômage

et d'inactivité pendant votre jeunesse, plus vous avez du mal après à intégrer

un marché de travail profond.

Comme je disais, c'est que comme l'activité économique

affaiblit pour ces pays-là, ça fait que ça renforce le problème

pour les jeunes d'intégrer correctement le marché du travail.

C'est un double problème, parce que plus on a les jeunes

qui ne rentrent pas correctement sur le marché du travail,

plus l'activité économique va s'affaiblir, moins les entreprises vont investir

parce que, de toute façon, les jeunes n'ont pas nécessairement

les capacités pour intégrer leur entreprise.

C'est ce cercle vicieux qui est en train de se créer

et qui vraiment fait que notamment les pays à faible revenu vont souffrir

et ne vont pas pouvoir se projeter vers l'avenir.

Une des autres conclusions dont on parlait dans le rapport,

dans justement les perspectives pour 2025, c'est le déficit mondial d'emplois

qui est de 402 millions.

Qu'est-ce que ça signifie et quelles sont les implications de ce chiffre?

Justement, notre écart d'emploi qu'on calcule,

on essaie d'analyser

l'ensemble de l'emploi qui manque.

Ce n'est pas seulement le chômage, c'est autre chose.

Le chômage, c'est très spécifique, très restreint en termes de définition.

Il y a beaucoup de gens qui, soit ils ont abandonné à chercher parce qu'ils

sont découragés, soit ils ont d'autres contraintes,

notamment contraintes de s'occuper

des membres de la famille

qui les empêchent à intégrer le marché du travail,

mais qui théoriquement sont disponibles à travailler.

Notamment, on voit que dans beaucoup de pays,

c'est l'inactivité des femmes qui fait que ces pays-là souffrent pas seulement

d'une faible performance du marché du travail,

mais aussi une faible performance économique.

On a calculé, notamment dans certains pays en Asie du Sud et dans les pays arabes,

que si ces pays-là pouvaient augmenter leur travail féminin au même niveau

que la moyenne mondiale, ils bénéficieraient énormément

d'une accélération de leur croissance économique

et donc de leur niveau de vie.

Je pense qu'il faut vraiment mettre le point

sur le fait qu'il y a énormément de personnes,

notamment des femmes,

qui font face à des barrières à la participation à l'emploi,

qui fait que ces pays-là souffrent d'un manque de développement

à cause de ces barrières-là.

Ce chiffre nous permet d'analyser plus en détail.

Ce n'est pas seulement le chiffre du chômage,

mais quel est exactement ce qui se passe au niveau du marché de l'emploi?

Tout à fait.

Nous parlions avant des grands bouleversements,

donc on parlait de la géopolitique.

Il y a également les grands bouleversements

dans les secteurs verts et numériques et qui,

pour l'instant, surtout en ce qui concerne

le numérique, semblent ajouter un petit peu

de cette incertitude dont nous parlions,

notamment vis-à-vis de l'intelligence artificielle.

Pourtant, vous êtes quand même relativement optimiste

sur les possibilités de ces grands bouleversements.

Effectivement, le potentiel est là que ces changements,

notamment de la transition verte, peut contribuer à créer de l'emploi.

Pour l'instant, malheureusement, c'est très limité

à un certain nombre de pays qui ont massivement investi

avec une politique industrielle pour développer ces secteurs-là.

C'est notamment la Chine

qui est en train de s'électrifier de manière rapidement

et dans certains autres pays.

Ce qui est intéressant, encore une fois,

c'est que c'est un potentiel pour certains pays

de se libérer de leur dépendance du pétrole.

Ce n'est pas seulement une question écologique,

c'est aussi une question économique de pouvoir-

-de changer complètement la donne au niveau international.

-changer la donne et de compter sur ses propres moyens

pour développer le pays.

On voit dans beaucoup de pays africains, justement,

il y a une tentative de développer leur pays

avec l'électrification

qui fait qu'on ne se déconnecte pas seulement du cours du pétrole,

mais aussi on réussit à créer des emplois sur place.

C'est potentiellement, à notre avis, il n'est pas encore complètement exploité.

Nous parlions au début de ce podcast de Davos,

est-ce que la coopération internationale sur l'emploi est-elle suffisante?

Par exemple, quelles actions concrètes, si vous pouviez parler

aux grands dirigeants qui vont donc se réunir

à Davos,

pour améliorer les perspectives d'emploi en 2025,

notamment face aux défis dont on parlait de l'intelligence artificielle

ou du changement climatique ou des tensions géopolitiques?

Est-ce que ces questions de l'emploi sont parfois suffisamment abordées?

Non, absolument pas.

[rire]

Je pense qu'en ce moment, quand on voit les discussions,

les débats notamment économiques

sur les propositions de certaines administrations,

c'est plutôt inquiétant.

On voit quand même qu'il y a des--

-C'est moi d'abord et les autres après. -Exactement.

Des barrières qui sont en train de monter et qui font que cette incertitude

va encore augmenter cette année et va en plus réduire l'activité économique.

Je pense qu'au-delà de ça, il y a un domaine que

nous abordons

dans ce rapport aussi qui est lié

à la pénurie de main-d'œuvre dans les pays avancés,

qui pourrait théoriquement être comblé avec des personnes venant des pays du sud,

des pays en voie de développement

qui ont la capacité de contribuer à combler

cette pénurie.

Ça, il y a une action politique qui est certainement demandée.

Tout le débat sur l'immigration.

Absolument. Aujourd'hui, on voit que certains pays

qui ont pris de l'avance dans ce domaine-là,

mais les chiffres ne sont pas suffisants et il y a un potentiel énorme.

Pas seulement pour combler la pénurie dans les pays avancés,

mais aussi

pour faire bénéficier des pays qui envoient des migrants

d'une meilleure qualification de la main-d'œuvre

et de la contrepartie qui est les remises,

c'est-à-dire les flux financiers qui sont envoyés par les immigrants--

Qu'ils envoient dans leur pays d'origine.

Exactement.

Je pense que ça, c'est vraiment un thème

qu'on devrait aborder de manière beaucoup plus active,

parce que ça permet aussi bien aux pays recevants qu'aux pays-

Pays qui envoient les migrants.

-de bénéficier d'une meilleure collaboration.

Si on devait résumer un petit peu les perspectives pour 2025,

quels mots devait-on retenir?

Stabilité? Incertitude?

Plutôt incertitude? -Plutôt incertitude.

Il y a une stabilité, certes, mais qui fait

qu'aujourd'hui, on ne bénéficie pas

d'une reprise d'emploi,

notamment dans les pays qui en ont besoin le plus.

Merci beaucoup.

Aujourd'hui, nous avons parlé des perspectives 2025

sur le marché de l'emploi avec Ekkehard Ernst,

qui est responsable de l'unité macroéconomique

au sein du département de recherche ici, à l'OIT.

C'est la fin de notre podcast.

Dans les semaines à venir, nous continuerons à parler

des changements qui bouleversent le monde du travail.

[musique]

Je vous rappelle que vous pouvez nous suivre sur les réseaux sociaux,

sur LinkedIn, sur YouTube,

sur Instagram, sur X sous le nom de OITInfo et maintenant

sur Bluesky et sur Threads sous le nom de ILO.

Pour l'instant, c'est au revoir et à très bientôt

pour un autre épisode de notre podcast sur l'avenir du travail.