Chaque fois que j’en ai l’occasion, je parle au nom des femmes de la communauté massaï. Nous ne voulons pas que les femmes restent endormies mais qu’elles se réveillent. Même celles qui ont les oreilles percées comme moi: nos esprits n’ont pas été percés, nous avons des cerveaux pour avancer!
Je m’appelle Mary Nkisonkoi. Je suis médiatrice et je viens du village massaï d’Oloshaiki dans la vallée du Grand Rift au Kenya.
J’ai eu la chance d’être choisie comme médiatrice pour un projet communautaire dans ma région.
Avant le démarrage de ce projet, les femmes de notre région ne se rassemblaient pas pour parler franchement de leurs problèmes et de leurs difficultés. Nous n’étions pas autorisées à le faire, à moins que nos maris sachent de quoi nous parlions.
Nous avions l’habitude de rester au village et de nous rencontrer à l’église. Après la messe, chacune partait de son côté et continuait de s’occuper de ses tâches familiales. Nous ne savions pas qu’en tant que mères nous pouvions faire quelque chose qui pourrait nous aider, en tant que communauté, ou en tant que femmes.
Puis ce projet est arrivé et a commencé à nous enseigner les questions de genre, les droits des femmes, la différence entre une épouse et un mari. Cela nous a encouragées et nous a donné la motivation nécessaire pour parler à nos hommes.
J’ai été formée comme médiatrice pour faire venir des hommes et des femmes dans les débats publics. J’ai convié les anciens du village, les femmes, les chefs des groupes communautaires afin de discuter de ce qu’il faut pour améliorer la situation dans notre région.
Le premier changement qui s’est produit, et dont nous sommes fières, est que les femmes ont pu suivre une formation pour adultes. Nous avons reçu un enseignement dispensé par un professeur du projet. On nous a également appris à gérer une entreprise.
Beaucoup de femmes ont rejoint les cours car elles n’avaient pas d’autres moyens d’existence. Traditionnellement, les femmes ne peuvent pas vendre de vaches ni de maïs parce que la ferme appartient à leurs maris.
Au début, c’était difficile mais nous avons appris à planifier et à faire en sorte que les tâches ménagères et le rassemblement des chèvres et des vaches soient effectués le matin. À 14 heures, une fois que les enfants étaient rentrés de l’école, nous nous précipitions en classe.
Les femmes ont appris l’alphabet et les chiffres et peuvent donc utiliser un téléphone mobile.
Les cours pour adultes nous ont fait réfléchir à ce que nous pourrions faire d’autre. Comment allions-nous tirer le maximum de cette occasion de sortir de nos maisons? Quels autres changements pourrions-nous opérer?
Nous avons formé un groupe de femmes, ou Chama, et avons mis en place ce qu’on appelle une «tontine», en mettant notre argent en commun pour nous entraider.
Ici, le jour de marché est le mercredi; des femmes y vendent des haricots, des pommes de terre ou d’autres légumes. Nous avons décidé de nous réunir tous les jeudis, le lendemain du marché. Chaque femme apporte 50 ou 100 Ksh (40 ou 81 cents de dollar). Ensuite, si une femme a besoin d’emprunter de l’argent pour agrandir son entreprise, nous lui prêtons l’argent et elle le rembourse avec des intérêts. Puis, nous le donnons à une autre femme pour qu’elle développe son activité à son tour.
L'autre changement dans notre vie de femme, c’est que nos maris ont appris à nous laisser de l’espace. Quand je me suis assise avec elles en tant que médiatrice, je les ai informées que les mères peuvent aussi participer au revenu familial pour payer les frais d’éducation ou acheter de la nourriture.
Maintenant, nous sommes libres en tant que femmes de gérer nos propres affaires. Chaque femme peut apporter quelque chose à son foyer et le mettre sur la table, aussi peu soit-il. Même 500 Ksh (4,10 dollars). Nous disons à nos maris: «Voilà ce que j’ai pu gagner». C’est donc un grand changement. Nous ne vivons plus de la même manière qu’avant.
Quand j’ai débuté la formation, j’ai commencé à évoluer mentalement. Je me suis dit: Dans mon secteur, je vais être une des étoiles montantes de cette région.
Ce sont généralement les hommes qui dirigent les affaires de bétail. Nous avons discuté à la maison et j’ai obtenu la permission de créer une entreprise. J’avais un peu d’argent de côté que j’avais gagné en cultivant. J’ai planté un hectare. J’ai eu de la chance car cet hectare m'a rapporté 20 000 Ksh (163 dollars).
J’ai utilisé cet argent pour acheter un veau. Mon plan était que ce veau allait se reproduire et me donner un taureau ou une vache. Ensuite, je vendrais le premier pour récupérer mon argent.
Mon autre ambition était de construire une maison en dur, pas une maison en pisé. Je voulais que les choses changent. J’ai commencé à vendre mes vaches et j’ai ouvert un compte en banque.
Notre groupe de femmes s’est rendu dans une banque, la K Unity. Nous avons commencé à y déposer de l’épargne. Au bout de 6 semaines, nous avons fait un emprunt. J’ai emprunté 50 000 Ksh (408 dollars). D’autres femmes ont fait de même et se sont lancées dans le maïs. J’ai acheté une vache et un matelas.
Avec mon poste de médiatrice, je touche une indemnité de transport. J’économise ce qu’il reste après avoir payé les frais de transport.
J’ai désormais une maison en chantier que mes enfants m’aident à construire. J’ai pu acheter des tôles pour la toiture avec mes propres économies de 200 000 Ksh (1 633 dollars).
J’ai réussi dans les affaires parce que j’ai su élargir mes horizons et trouver de grandes idées. Je continue à progresser.
Dans cette région, je suis désormais la présidente de tous les groupes de femmes. Je suis aussi responsable du bien-être des femmes de mon village. J’assume très bien mon rôle de dirigeante. Quand nous allons dans des réunions publiques, les gens demandent: «Où est Mary Nkisonkoi?»
Les femmes de cette région ont changé. Nous avons récemment commencé à construire et à rénover nos maisons familiales. Dans l’ancien temps massaï, les gens allaient dans un buisson pour satisfaire un besoin naturel. Grâce à nos efforts, nous avons sensibilisé d'autres personnes à l’importance d’installer des toilettes.
Dans le cadre du projet, nous avons également eu la possibilité de planter des arbres. J’ai planté 50 semis autour de ma maison pour faire une clôture vivante. Je suis allée chercher de l’eau, j’ai arrosé mes semis et ils poussent bien. Ils feront de l’ombre et j’espère que, dans les années à venir, ils auront un effet bénéfique pour le climat local.
Peu à peu, nous constatons des progrès. Récemment, avec d’autres médiateurs, nous avons parlé au parlementaire et au conseiller local et leur avons dit que nous voulions des routes et des installations sanitaires locales. Ils nous ont promis que nous aurions des routes et nous avons désormais un dispensaire médical. Le gouverneur a entendu nos revendications.
Dans la ville de Suswa, nous avons participé à une réunion consacrée au budget national. Nous avons dit que nous avions des problèmes d’accès à l’eau et à l’hôpital. Ils ont dit qu’ils s’occuperaient de ces questions. Nous savons maintenant que ces problèmes seront traités parce que nous savons comment faire valoir nos droits.
Les femmes ne sont pas des personnes que l’on doit opprimer. Une fois qu’une femme est éduquée et qu’elle peut faire ce qu’elle veut, la communauté en profite davantage que si les maris en faisaient de même. C’est parce que les femmes sont au cœur de la famille et assurent l’essentiel de l’éducation des enfants. J’invite donc les femmes à se réveiller, à occuper des postes à responsabilités et à se battre pour leurs droits au Kenya!