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Points de vue sur le monde du travail
Photo: ILO/OIT Anders Johnsson
Les femmes dans le management

Grâce à mon entreprise, je vois la valeur d'investir dans les femmes

Depuis toute petite, j’ai toujours su que je voulais suivre les traces de ma mère et travailler dans la confection. Mais je n’avais pas prévu à quel point mon parcours me mènerait loin. Actuellement, mon entreprise emploie des centaines de femmes. Des progrès récents en matière de productivité et de sécurité au travail et des politiques sociales ont créé un environnement de travail qui profite à notre personnel comme à nos clients.

Quand j’avais environ six ans, ma mère a monté un petit atelier dans notre maison pour fabriquer des vêtements qu’elle vendait aux grands magasins locaux.

Même si l’atelier était petit, plusieurs autres femmes travaillaient aux côtés de ma mère. Elles étaient comme mes tantes. Certaines d’entre elles m’emmenaient à l’école ou venaient m’y chercher. Nous mangions ensemble. Nous faisions tout ensemble. Nous étions comme une famille. C’est comme cela que j’ai découvert l’industrie de la confection.

A l’époque, je me levais le matin et j’allais m’asseoir dans l’atelier. Je me tenais derrière la machine à coudre industrielle et j’essayais de coudre et, tous les deux-trois mois, je finissais avec une aiguille dans le doigt et devais me rendre à l’hôpital.

Ma mère disait aux autres travailleuses: «Ne la laissez pas entrer dans l’atelier». Mais je réussissais toujours à m’y faufiler d’une manière ou d’une autre.

J’avais à peine vingt ans quand j’ai commencé à fabriquer moi-même des vêtements. A l’époque, les clients venaient avec leur tissu, et je concevais et fabriquais des vêtements pour eux. Tout était fait sur mesure.

J’ai fait cela pendant quatre ou cinq ans avant que certains clients me suggèrent de produire à plus grande échelle. Un jour, des clients expatriés m’ont conseillé de participer à un salon professionnel aux Etats-Unis.

C’était comme escalader la plus haute montagne du monde. Mais ce n’était pas impossible.

A l’époque, je faisais partie de l’Association ghanéenne des femmes chefs d’entreprise qui m’a aidée à trouver des fonds. J’ai donc pris une décision audacieuse et me suis rendue à un salon professionnel.

Linda Ampah se tient près d’une femme qui travaille sur une machine à coudre dans l’usine. A l’arrière-plan, on aperçoit d’autres ouvrières en train de coudre.

Il n’y avait aucun doute sur ce que j’allais faire en tant qu’adulte. Ma mère était très audacieuse, je crois que je tiens cela d’elle. (Ghana, 2024)

© ILO/OIT Anders Johnsson

Pendant le salon, une cliente s’est présentée à mon stand et m’a dit: «J’adore cette robe mais j’ai besoin de 100 pièces.» Je n’étais pas du tout préparée. J’étais choquée que quelqu’un puisse vraiment me demander 100 robes.

Dans le stand voisin du mien, il y avait une femme venue de Thaïlande. Je lui ai parlé de la commande. Elle m’a répondu: «Vous croyez venir ici pour quoi faire?». Puis elle a proposé de m’aider à honorer la commande.

Je l’ai accompagnée en Thaïlande. Là-bas, j’ai vu beaucoup de petites usines qui effectuaient chacune une seule opération. Une usine ne fabriquait que des cols, une autre que des manches. Dans la dernière usine, ils assemblaient toutes les pièces et emballaient les produits. Tout était très ordonné.

Je me suis dit: «Les femmes de ces usines sont exactement comme moi, alors pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose au Ghana?» Nous n’avions pas le savoir-faire mais je savais que nous pourrions y arriver. C’est ainsi que je me suis lancée dans la production de masse.

Je me suis dit: «Les femmes de ces usines sont exactement comme moi, alors pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose au Ghana?» Nous n’avions pas le savoir-faire mais je savais que nous pourrions y arriver.

Linda AmpahFondatrice et directrice générale de KAD Manufacturing Ltd

Quand je suis rentrée de mon voyage en Thaïlande, j’ai décidé d’utiliser ce que j’avais appris pour offrir des emplois aux Ghanéens. J’ai commencé à produire de plus gros volumes et, avec l’argent gagné, j’ai acheté de nouvelles machines.

A présent, nous sommes capables de produire des milliers d’articles. A pleine capacité, nous employons plus de 400 personnes à l’usine. Quand nous recevons une grosse commande, ce chiffre peut doubler.

Plus de 90 pour cent du personnel est composé de femmes. Pour la plupart, elles travaillent pour nourrir leurs enfants et, parfois, leurs maris et leurs parents également. Vous voyez donc l’effet d’entraînement de chaque bonne action que vous entreprenez. Personnellement, je vois à quel point il est important d’investir dans les femmes.

Quand on s’efforce de former des femmes, elles font preuve de loyauté et d’engagement. Quand les employées constatent que vous vous souciez d’elles, elles restent à vos côtés, même dans les moments difficiles. Certes, nos problèmes sont singuliers mais, comme je suis une femme, je comprends.

Plan large de rangées de femmes travaillant sur des machines à coudre dans l’usine de confection de Linda Ampah.

Certaines de mes employées ont des problèmes de cycle menstruel, j’ai donc demandé à une gynécologue de venir à l’usine. En tant que cheffe d’entreprise, on est parfois confronté à des défis. Mais quand les employées voient que vous vous souciez d’elles, elles restent à vos côtés. (Ghana, 2024)

© ILO/OIT Anders Johnsson

Il y a quelques années, j’ai appris que l’Organisation internationale du Travail avait déployé un programme de collaboration directe avec les entreprises du secteur de l’habillement, contribuant au transfert de compétences, à la sécurité et à la santé au travail et aux politiques sociales.

Dans le cadre du programme, des experts sont venus à l’usine pour nous aider à former le personnel. Ils nous aident à être plus compétitifs. Nous avons beaucoup appris, par exemple la conception industrielle des patrons de vêtements. Depuis lors, nous avons investi dans des ordinateurs pour numériser nos patrons et gagner en efficacité.

Nous avons aussi commencé à utiliser les chutes de tissu qui étaient censées finir à la poubelle. Aujourd’hui, nous les transformons en produits que nous pouvons vendre, comme des chouchous pour les cheveux ou des pochettes.

Des chemises et des jupes sont soigneusement pliées sur un plan de travail. A l’arrière-plan, une affiche indique: «Nous sommes contre le travail des enfants».

Quand les clients viennent acheter chez nous, ils voient que nous sommes sérieux. Le respect de toutes ces exigences internationales nous a rendus plus attrayants pour la clientèle. (Ghana, 2024)

© ILO/OIT Anders Johnsson

Grâce au programme de l’OIT, nous avons fait de nombreux progrès. Certains sont coûteux mais ces changements nous aident à accéder au marché. La clientèle nous prend au sérieux quand elle voit les normes que nous appliquons.

Nous disposons d’une sortie de secours et d’espaces et d’allées clairement indiqués qui ne doivent pas être bloqués, afin que les travailleurs puissent quitter les lieux en toute sécurité en cas de problème. Les travailleurs ont accès à l’eau potable et à des toilettes.

En vertu de nos politiques sociales, même si nous embauchons quelqu’un pour une seule journée, l’embauche doit être enregistrée. Nous vérifions les pièces d’identité de tous les travailleurs pour nous assurer que leur âge correspond aux normes internationales.

Dans l’usine, les heures supplémentaires sont volontaires, tout est enregistré et numérisé. Les travailleurs pointent avec leur empreinte digitale ou leur iris, de sorte qu’il n’y a aucun litige.

Au début, certains employés trouvaient la paperasse très fastidieuse mais ils comprennent désormais pourquoi nous le faisons. Tout est clair et tout le monde est content.

L’amélioration des conditions de travail profite à l’entreprise elle-même. Les travailleurs sentent que vous vous souciez d’eux, ils se mobilisent donc aussi pour la croissance de l’entreprise.

Linda AmpahFondatrice et directrice générale de KAD Manufacturing Ltd

Nous avons également créé un comité des travailleurs qui se réunit régulièrement. En cas de réclamation, l’information est remontée à la direction. Si les délais d’exécution d’une commande sont serrés, nous en discutons avec le comité pour voir comment nous pouvons la réaliser. Cela a beaucoup amélioré la relation entre la direction et le personnel.

En fin de compte, l’amélioration des conditions de travail profite à l’entreprise elle-même. Les travailleurs sentent que vous vous souciez d’eux, ils se mobilisent donc aussi pour la croissance de l’entreprise.

Il a été très gratifiant d’en arriver là. Pour moi, les moments les plus difficiles ont été ceux où nous avons dû nous séparer d’employés. C’est mon cauchemar, et cela me pousse à travailler toujours plus.

Parfois, je me demande comment j’en suis arrivée là. Je n’ai pas rédigé de projet, je me suis juste jetée à l’eau. J’ai toujours su que c’était ce que j’allais faire.

Linda Ampah smiles at the camera with another trade show participant, a man. They stand next to her KAD Manufacturing Limited stall. She wears one of the colourful dresses she is showcasing at her stall.

Récemment, le projet de l’OIT a financé ma participation à un salon de l’habillement à Las Vegas où j’ai fait la promotion de mon entreprise. (États-Unis, 2024)

© ILO/OIT

Entretien avec Magdalena Wüst, chef de coopération par intérim, Ambassade de Suisse au Ghana

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