Voices
Points de vue sur le monde du travail
Photo: iStock.com/fizkes

Podcast l'avenir du travail

Episode 37
Discrimination raciale au travail

Comment aborder les défis de la discrimination raciale sur le lieu de travail

24 mai 2023
00:00

Le nouvel épisode du podcast de l'OIT sur l'avenir du travail se penche sur la question délicate de la diversité et de la discrimination raciale sur le lieu de travail.

Avec nos invitées, Christiane Kuptsch, spécialiste principale en politique migratoire à l'OIT, et Jane Almeida, chercheuse en sociologie et spécialiste de la lutte antiraciste, nous explorons les différentes formes de discrimination raciale, allant des manifestations directes aux micro-agressions plus subtiles.

Nous abordons également les stéréotypes et les défis auxquels sont confrontées les femmes noires dans les milieux de travail féministes.

Enfin, nous examinons les mesures que les employeurs et les individus peuvent prendre pour promouvoir la diversité et créer des environnements de travail équitables et inclusifs.

Rejoignez-nous pour une discussion approfondie sur l'avenir de la diversité et de l'inclusion dans le monde du travail.

Transcription

[musique]

- Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode

du podcast de l'OIT sur l'avenir du travail.

Cette émission aborde toutes les questions

clés qui sont liées au monde du travail, ses défis,

les profondes transformations qu'il est en train de connaître.

Au micro, Guebray Berhane.

Je travaille pour l'Organisation internationale du Travail à Genève.

Aujourd'hui, nous aborderons l'épineuse question de la diversité

et de la discrimination raciale sur le lieu du travail.

L'OIT a récemment publié un livre intitulé Le futur de la diversité,

qui offre de nouvelles perspectives sur le concept de la diversité

et le rôle que la diversité peut jouer dans le monde du travail de demain.

L'ouvrage aborde des questions telles que l'égalité des sexes,

la discrimination fondée sur l'âge, la violence à l'égard des personnes LGBTI,

la migration et la diversité ethnique, et enfin, la discrimination raciale.

C'est donc sur cette dernière que nous allons nous pencher.

Pour en parler aujourd'hui avec moi, deux invités.

Christiane Kuptsch, spécialiste principale en politique migratoire

au Bureau international du Travail à Genève.

Vous êtes également politologue, spécialisée en relations internationales.

Vous avez publié de nombreux ouvrages, notamment sur l'intégration

des migrants sur le marché du travail,

la gouvernance de la migration de main-d'œuvre.

Bonjour à vous.

-Merci.

-Nous recevons également Jade Almeida,

docteur en sociologie, créatrice de contenus, chercheuse.

Vous êtes notamment centrée sur les enjeux liés à la lutte antiraciste

et vous êtes également très impliquée sur les questions LGBTI.

Bonjour à vous. -Bonjour.

-Bonjour à toutes les deux finalement.

Commençons, d'entrée de jeu.

Selon un rapport de l'OIT, environ un travailleur sur quatre

dans le monde est victime de discrimination sur le lieu du travail,

la discrimination raciale étant l'une des formes les plus courantes.

Comment se manifeste cette discrimination raciale sur le lieu du travail?

Christiane?

- Oui. Je pense qu'il faut distinguer

entre différentes formes de discriminations.

Il y a la discrimination directe,

la discrimination indirecte et la discrimination systémique.

Dans beaucoup de juridictions,

la discrimination directe est reconnue s'il

y a une intention et un motif illicite.

On considère qu'il y a discrimination indirecte s'il

y a des effets préjudiciables.

Par discrimination systémique,

on entend des règles érigées en tant que système qui est

discriminatoire pour certaines personnes,

sans que ce soit forcément évident à première vue.

Maintenant, la discrimination raciale peut se manifester

sur toutes ses formes sur le lieu de travail.

Comme dans beaucoup de pays, on a mis en place une législation qui sanctionne

au moins la discrimination directe.

On assiste aujourd'hui au développement

d'un racisme de plus en plus caché, si j'ose dire.

On va d'une discrimination raciale ouverte, flagrante,

vers des formes beaucoup plus modernes et subtiles.

Je pense notamment aux micro-agressions raciales sur le lieu de travail.

- Attendez. Micro-agressions, qu'est-ce que vous entendez par là?

Est-ce que vous pouvez développer?

-Oui. Par exemple, des échanges qui envoient des messages

dénigrants ou qui ont pour effet d'exclure certaines personnes en raison

de leur appartenance à certains groupes, comme des personnes racisées.

Les micro-agressions sont verbales, comportementales ou environnementales,

et peuvent être intentionnelles ou non.

Elles peuvent même sembler tout à fait anodines.

En tout cas, les individus ciblés vont vivre une catégorisation

sociale et un sentiment de non-appartenance.

Dans Le futur de la diversité, Karine Bellemare et Éric Charest offrent

de nombreux exemples de micro-agressions.

Laissez-moi peut-être juste en donner un, une micro-agression très commune.

Admettons que je travaille dans une entreprise à Hambourg.

Si moi, avec mes cheveux blonds, ma peau et mes yeux clairs,

qui correspondent au stéréotype de l'Allemande,

demande à ma collègue noire d'où elle vient

et elle répond: «De Düsseldorf»

ça passe éventuellement si je m'arrête là, mais si je continue en insistant:

«D'où viens-tu réellement? Où sont nés tes parents?»

et cetera, là, je commets une micro-agression.

J'envoie le message: «Tu n'es pas d'ici, tu es une étrangère.»

- Je crois que beaucoup de gens ont subi

ce genre de micro-agressions sur le lieu du travail.

Très bien. Merci de nous avoir éclairé sur ce point.

Jade, vous, votre chapitre dans Le futur de la diversité

porte sur les femmes noires dans les milieux

de travail féministes et aborde aussi le thème

de violences vécues sur le lieu du travail.

Quels en sont les points saillants pour nos auditeurs et nos auditrices ici?

- Merci pour cette question.

Il faut comprendre que lorsqu'on a fait ce chapitre,

nous, on voulait mettre en avant la manière dont,

en tant que société, on a une façon de conscientiser la violence,

qui invisibilise, voire ignore entièrement d'autres types de violences.

Quand Christiane parlait de micro-agressions,

c'est un terme qui a émergé pour mettre

en avant la banalité de certaines expériences,

la normalité de certaines expériences.

Parce que lorsqu'on utilise le terme violence,

je pense que la plupart des gens s'imaginent quelque chose d'énorme,

des cris, des coups, par exemple, ou un incident

bien spécifique qu'on peut cibler,

qui a commencé à 8h00, qui s'est terminé à 10h00, avec des interventions.

Quand on utilise le terme «violence»,

on pense à quelque chose d'éclatant.

Quand on utilise le terme «micro-agression»,

c'est faire comprendre quelque chose de banal,

de normal, presque tout ce qui, quelque part,

structure nos expériences au quotidien.

Quand nous, on a fait notre chapitre, on s'est concentré sur l'expérience

des femmes noires au sein des milieux féministes, parce qu'également,

les milieux féministes sont supposés, du moins,

être des espaces sécuritaires pour les femmes.

C'est un peu l'image que l'on a de ces espaces.

C'est lorsqu'on a rencontré ces femmes noires qui travaillent,

qui sont entrées au sein des organismes féministes,

beaucoup ont dit: «J'ai rejoint ces espaces parce que je voulais

travailler dans un endroit où je serais en sécurité en tant que femme,

et je pourrais travailler à la sécurité d'autres femmes.»

Nous, on voulait montrer qu'il existe des expériences

de violence au sein de ces espaces,

parce qu’en tant que femmes noires, elles sont rentrées,

pas uniquement en tant que femmes,

elles sont rentrées également en tant qu'individus noirs.

Ce sont des espaces qui se sont beaucoup définis

en termes de genre et ont beaucoup réfléchi, bien sûr,

aux violences genrées, mais malheureusement,

ce sont des espaces qui, historiquement, n'ont jamais réfléchi aux enjeux

et dynamiques raciales et la manière dont, notamment en tant que femmes blanches,

elles participent à ces violences également.

Elles bénéficient, elles ont certains privilèges au sein, bien sûr,

d'un système structuré autour d'une hiérarchie raciale.

Lorsque des femmes noires sont rentrées au sein de ces espaces,

elles ont eu le choc de vivre des violences,

qu'elles pensaient être en sécurité,

mais en plus de vivre des violences qu'elles

n'arrivaient pas même à mettre le doigt dessus,

c’est-à-dire à comprendre, à expliquer qu'est-ce qui se passait,

parce qu'elles ne conscientisaient pas

que ces expériences relevaient de la violence.

Parce que ce n'est pas comme ça qu'on pense les violences.

Notre chapitre, c'était de mettre en avant la banalité et l'existence

de ces violences pour les femmes noires au sein

d’organismes féministes et attirer l’attention sur le fait

que c'est un véritable fléau actuellement,

parce qu’on a, pas cette mode, n’exagérons pas,

mais on a cette dynamique de vouloir faire absolument entrer la diversité,

on peut avoir un regard critique là-dessus,

mais vouloir faire entrer la diversité

au sein d’espaces de travail qui, historiquement, ne les ont jamais inclus.

Qu'est-ce que cela déclenche comme type de dynamique?

La violence arrive lorsqu'on fait rentrer cette diversité,

mais qu'on n'a pas fait le travail préalable de recevoir cette diversité.

- D'accord. Quelles sont les pistes de réflexion?

À votre avis, comment les employeurs peuvent-ils s'efforcer de prévenir

ces types de discriminations ou même d'y remédier?

- C'est une énorme question.

Déjà, lorsque je dis qu'il y a un travail préalable à faire,

c'est quelque chose que je répète souvent,

il ne faut pas tomber dans la tokenisation,

il ne faut pas tomber dans l'embauche à tout prix.

Lorsque des espaces de travail qui, historiquement, n'ont jamais été inclusifs

ou représentatifs de certaines communautés,

tout d'un coup décident que c'est quelque chose auquel il faut remédier,

ce qui est en soi une bonne chose, bien sûr,

il faut prendre conscience de ses échecs ou de la manière

dont une entreprise ou un espace de travail communautaire,

ou une institution, un organisme, peu importe, a évolué avec le temps.

C'est une bonne chose de vouloir l’adresser.

L'adresser, ça veut dire être prêt à aller au fond du problème,

c’est-à-dire avoir des conversations difficiles,

c’est-à-dire être prêt à préparer avant l'embauche,

finalement, c’est-à-dire s'assurer que toute l’équipe comprend

pourquoi on va aller chercher certaines embauches en particulier,

c’est-à-dire s'assurer que le CA également a fait ce type de travail,

c’est-à-dire ne pas seulement faire une offre d’emploi

avec un petit message en bas: «Nous privilégions certaines

candidatures issues de communautés minorisées.»

C'est s'interroger sur: «Pourquoi est-ce qu'on va aller chercher cette communauté?

Est-ce qu’on va embaucher

une comptable pour faire le travail de comptable,

et il se trouve qu'en plus,

cette comptable est issue d'une communauté racisée,

ou on va embaucher une comptable qui, en plus de son travail de comptable,

va devoir faire le travail d'éduquer sur les enjeux raciaux,

de s'assurer que les campagnes publicitaires sont correctes,

de s'assurer que certains discours sont corrects...»

Là, il y a un travail supplémentaire qui s'ajoute,

que l'employeur et toute l'équipe doivent avoir discuté, réfléchi,

mis en place avant de vouloir absolument recruter.

- D'accord. Clairement.

Christiane, votre avis sur cette question?

- Les employeurs, qu'est-ce qu'ils peuvent faire?

À mon avis, il faut déjà commencer par le fait

que les employeurs ne commettent pas eux-mêmes

des micro-agressions et d'autres types de violences sans s'en rendre compte.

En plus, si on parle de discrimination raciale plus subtile,

voilée ou cachée, c'est beaucoup plus difficilement

identifiable et par conséquent aussi, plus difficile à dénoncer.

Il faut garder tout ça à l'esprit.

La discrimination systémique,

elle est notamment soutenue par des stéréotypes et des préjugés.

Dans de nombreux métiers ou secteurs

économiques, nous avons tendance, aujourd'hui,

à avoir une image collective du travail hors type.

Ceux qui ne ressemblent pas à cette image

sont considérés comme les autres et ils courent

le risque accru de devoir surmonter divers

obstacles avant de trouver un travail même,

puis aussi pour conserver leur travail.

Ils sont également susceptibles d'être exposés

de manière disproportionnée à des formes plus ou moins subtiles de discriminations

et de violences sur le lieu de travail.

À l'inverse, je dirais que les travailleurs

type ne se rendent souvent pas compte,

ils n'ont aucune conscience de leurs privilèges sur le marché du travail.

C'est aussi le cas de beaucoup d'employeurs.

Pour prévenir les discriminations, il faut d'abord aussi combattre

les stéréotypes.

- D'accord. Je rebondis sur ce point, sur les stéréotypes.

Jade, est-ce que vous pourriez, vous,

nous donner un exemple de stéréotypes et des effets

qu'ils peuvent avoir sur le lieu du travail?

- Tout à fait. Un des stéréotypes qui est beaucoup ressorti

lorsqu'on faisait les entretiens,

c'était le stéréotype de la femme noire en colère.

Ça, c'est quelque chose qui avait un énorme impact

sur le quotidien des personnes que l'on rencontrait,

parce que comme elles étaient perçues

comme potentiellement des individus qui auraient

tendance à se mettre plus facilement

en colère et donc à devenir violentes, elles devaient constamment faire

très attention au ton qu'elles utilisaient.

On a des personnes qu'on rencontrait,

qui nous disaient:

«Je fais très attention à toujours sourire,

je fais très attention à dire bonjour,

je fais très attention à ne jamais paraître agacée,

parce que je sais qu'à la seconde où je ne vais pas sourire ou juste

être un peu agacée par quelque chose qui se passe au niveau du travail,

on va me percevoir comme une femme noire en colère.

Lorsqu'on me catégorise comme une femme noire en colère,

les conséquences peuvent aller extrêmement loin.»

Ça peut aller, bien sûr, à la punition, les remontrances, être renvoyée,

ou ça peut être aussi l'ostracisation.

Il y a différentes manières, qu'elles sont punies d'être perçues

comme ces potentielles femmes noires en colère.

Ça a un impact également, c'est qu'elles vont se brimer.

Elles vont, par exemple, ne pas dire lorsqu'elles ne sont pas

d'accord ou ne pas beaucoup argumenter, parce qu'elles savent

que si elles rentrent en argumentation, juste,

par exemple, pour défendre un projet,

ça peut aller très vite jusqu'à ce qu'on se dise:

«Tu es très émotionnelle, tu es cette femme noire en colère.»

Ça, c'est un premier stéréotype qui est beaucoup ressorti.

Un deuxième, également, que je voulais

mettre de l'avant, qui est très spécifique,

c'est le fait d'avoir associé les corps noirs à la servitude.

Qu'est-ce que ça donne?

Je suis au Québec, on est dans une société,

à Montréal notamment, où il y a une surreprésentation

des femmes noires dans les emplois du care.

Ce n'est pas quelque chose qui est spécifique au Québec,

il y a énormément des sociétés où il y a une surreprésentation notamment

de femmes racisées et plus spécifiquement de femmes noires dans les métiers du care.

On a l'habitude, bien sûr, historiquement,

qu'on pourrait passer des heures à expliquer,

mais on est habitué à associer les corps noirs

à des corps qui sont au service de.

Le type d'impact que ça peut avoir au travail,

même dans des emplois qui n'ont absolument rien à voir le care,

des industries qui ne sont absolument

pas dans les soins, c'est qu'on s'est rendu compte

que les femmes noires qu'on a interviewées,

on s'attend d'elles à ce qu'elles soient au service de.

On s'attend à ce qu'elles fassent le ménage,

on s'attend à ce qu'elles organisent les fêtes,

on s'attend à ce qu'elles apportent de la nourriture

et qu'elles en distribuent à leurs collègues.

On va systématiquement leur assigner des tâches et être étonné,

surpris, voire choqué, lorsqu'elles refusent,

ou choqué de voir des femmes noires dire:

«Je ne vais pas faire ce type de tâches.»

Ça, c'est quelque chose qu'elles disent: «Je reçois de mes collègues,

je reçois de mes responsables, je le reçois aussi du public,

par exemple que mon entreprise dessert, ou de la clientèle,

il y a une attente à ce que je sois là pour servir,

et il y a un choc lorsque je refuse parce que ça va à l'encontre

de ce qu'on s'attend qu'une femme noire soit, c'est-à-dire au service de.»

- Absolument. Je pense que beaucoup de nos auditrices ou de nos

auditeurs ont déjà vécu ce genre de circonstance.

Bien évidemment, ça ne s'arrête pas là.

Je cite un exemple ici,

un rapport de l'Agence des droits fondamentaux

de l'Union européenne, par exemple,

qui révèle que la discrimination fondée sur la race ou l'origine

ethnique est un problème répandu dans l'Union européenne.

Plus d'une personne interrogée sur trois est

issue d'une minorité ethnique ayant déclaré

avoir été victime de discrimination lors

de la recherche d'un emploi ou sur le lieu du travail.

Qu'est-ce que vous en pensez, Christiane?

- Je pense que c'est énormément triste.

Notamment, je pense aussi que c'est triste

parce qu'on a fait tellement peu de progrès en la matière.

C'est déjà au début des années 90 que l'OIT a lancé un projet

sur la discrimination, qui avait pour but de documenter

la discrimination à l'accès de l'emploi.

Je vais peut-être un peu parler de ce projet

parce que la méthodologie était très intéressante.

Je trouve choquant

qu'on ait fait tellement peu de progrès depuis.

Là, il s’agissait des tests pratiques, ce qu’on appelle aussi, des fois,

des tests de situation.

On forme des paires de candidats comprenant toujours un candidat

national et un candidat immigré ou d’origine immigrée,

dont les caractéristiques correspondent

à l’exception de l'origine ethnique ou nationale,

donc ils ont les mêmes CV, et cetera.

Les deux candidats se présentent aux employeurs

potentiels en réponse à des offres d’emploi.

À l’époque, on a trouvé des niveaux très élevés de discrimination,

qui ont été bien documentés.

Pour moi, c’est super choquant de voir que 30 ans plus tard,

il n'y a pas beaucoup de progrès visibles.

Des fois, on peut se demander:

«Est-ce qu’on a fait au moins

peut-être le progrès qu’on

puisse parler de discrimination,

ce qui n’était pas forcément le cas il y a 30 ans.»

Ça, peut-être, c'est un petit progrès.

- D'accord. Jade, vous avez un point de vue sur ce point?

- C’est sûr que c’est particulièrement triste,

comme vient de le mentionner Christiane.

Pas étonnant en soit quand on pense que,

il faut comprendre que le milieu de travail n’existe pas

dans un vacuum de normes sociales.

La société continue d’être structurée

par des systèmes d’oppression bien spécifiques,

qui ont été largement étudiés, et forcément le milieu du travail,

c’est le microcosme du macrocosme.

Il y a des avancées, il y a des résistances,

il y a des barrières, je ne suis pas étonnée,

mais parfois, on a tendance à en devenir cynique.

- Tout à fait.

Si on essaie de trouver des solutions concrètes,

comment pouvons-nous nous assurer que sur ces lieux de travail,

ces lieux soient réellement inclusifs, accueillants pour les personnes de toute

race et de toute origine ethnique?

Christiane?

- Je dirais d’abord, il faut commencer par combattre les discriminations,

les violences, car la diversité est entravée

par ces discriminations et violences.

En effet, les travailleurs minoritaires peuvent être découragés

par ces situations et quittent les lieux où ils sont maltraités.

Évidemment, ça, ce n’est pas sans laisser de traces

sur la suite de leur carrière professionnelle,

donc une sorte de cicatrisation sur leur parcours.

C’est aussi à ce moment-là que les inégalités peuvent se perpétuer.

- Perpétuer, bien sûr.

Jade, peut-être un point de vue aussi là-dessus?

- Bien sûr.

Moi, le premier conseil que je répète tout le temps, il faut s’organiser.

Ça demande une organisation massive,

ce n’est pas un enjeu qu’on peut tacler de manière individuelle.

Ça veut dire rejoindre des organismes, ça veut dire rejoindre des syndicats,

ça veut dire se mobiliser, créer des collectifs.

Il y a un rapport de force qui est très important

et il y a un rapport de force qu’il faut pouvoir renverser.

Pour qu’on renverse un rapport de force, il faut qu’on s’organise collectivement.

Systématiquement, mon premier conseil,

c’est toujours de dire:

«Allez chercher un syndicat,

allez chercher un organisme, allez chercher un collectif,

organisez vous en mouvement, parce que les violences que vous subissez

au sein de votre espace de travail, vous ne serez pas les seuls.

Vous ne serez pas seul à vivre ces violences.

Vous avez besoin d'avoir du soutien et vous avez besoin d'avoir du groupe.

Ça demande un mouvement.»

Également, ne pas hésiter à utiliser les politiques.

Ça veut dire, lorsque vous rentrez dans un milieu de travail,

demandez à voir les politiques anti-discriminatoires,

demandez à voir quels sont les textes

qui ont été mis en place pour vous protéger,

s'il y a un incident, c'est quoi les procédures.

Un premier gros red flag en anglais, donc drapeau rouge, à remarquer,

c'est lorsqu'une entreprise ou un espace de travail

dit vouloir avoir une approche inclusive, avoir une politique diversité, et cetera,

et lorsqu'on leur demande:

«Quel est le processus si je dois me plaindre?

Quelles sont les politiques mises en place pour me protéger?

S'il se passe quelque chose, je peux prendre des jours pour m'en remettre?»

et cet organisme dit qu'il n'a absolument rien, c'est un énorme red flag.

Ça veut dire que c'est une entreprise, excusez-moi, je travaille en organisme,

donc c'est toujours la première chose qui me vient en tête,

mais ça veut dire que c'est un espace de travail qui,

concrètement, n'a pas mis en place les structures qu'il

faut pour mettre en action leurs paroles.

C'est un premier red flag.

Dans ces cas-là, fuyez.

- Au niveau des employés, qu'est-ce qu'ils peuvent faire dans la lutte

contre la discrimination raciale au travail?

Comment les individus peuvent-ils contribuer à créer

peut-être un espace de travail plus équitable?

- Je pense que pour avoir un impact au niveau des employés,

employeurs-employés et l'espace de travail sont fortement liés,

c'est sûr qu'il faut qu'il y ait comme une synergie,

que tout s'aligne pour pouvoir améliorer l'expérience

des personnes racisées au sein du milieu de travail.

Ça demande d'avoir du temps, ça demande d'avoir des ressources.

Quand je dis ressources, c'est dédier du financement,

dédier des emplois, dédier du temps,

dédier d'avoir des rencontres sur le sujet,

dédier d'avoir même des plans d'action

avec des objectifs très concrets à atteindre.

Oui, on pense, bien sûr, à des formations,

mais les formations sont toujours un peu limitées

dans ce qu'elles peuvent avoir en termes de concret.

Ça veut dire aussi avoir un regard très accru sur l'enjeu de pouvoir.

Qui a le pouvoir au sein du milieu d'emploi et qui en a le moins?

Qui est le plus à risque de rester au sein

de cet emploi et de subir au sein de cet emploi?

Comment est-ce qu'on peut contrecarrer ce pouvoir?

Ça veut dire parfois aller jusqu'à saboter certaines missions,

parce que tout simplement, ça va à l'encontre du bien-être des personnes

racisées au sein de ces espaces.

On parle du milieu de travail de manière très générale,

mais on s'entend que ce n'est pas tous les emplois

où il faut absolument avoir à cœur de recruter une diversité.

Il faut comprendre qu'on parle de système extrêmement large,

donc il y a des milieux d'emploi qui ne sont pas

des milieux qu'on vise à réformer.

Là, il faut carrément faire une révolution.

Je fais attention à ne pas avoir un discours

qui semble dire: «Tout milieu de travail, il faudrait qu'on puisse s'y intégrer.»

Lorsque je dis «en termes de collègues»

également, revenir aux basiques,

c'est-à-dire avoir une écoute des personnes

racisées au sein de ces espaces.

Quand je dis «une écoute»,

une écoute active et empathique,

mais une écoute qui débouche sur des actions.

Ça veut dire ne pas tomber dans: Une personne dit: «Je vis ce type

d’expérience par rapport à ma collègue.

Ça fait plusieurs fois que j’adresse l'enjeu, il n’y a rien qui change»,

il faut que l’écoute soit absolument suivie d’action,

c’est pour ça que je reviens encore une fois aux procédures.

Il faut qu’il y ait des procédures mises en place dès le départ pour intervenir.

Il y a des situations entre collègues qui arrivent à un stade

où ça va demander une intervention qui va au-delà des formations.

Ça peut aller jusqu’à: On va devoir prendre des interventions punitives

pour pouvoir protéger la personne racisée au sein de ces espaces.

Parfois, lorsque j’entends les conversations,

je ne suis pas sûre qu’on ait conscience:

«Est-ce que vous êtes prêt à avoir ce type de discussion?

Est-ce que vous avez des comités qui vont pouvoir revoir

comment est-ce qu’on intervient dans ce type de situation?

Est-ce qu’on fait de la médiation?

Qui va faire cette médiation?

Est-ce que la personne qui va faire

la médiation est une personne racisée, par exemple,

qui comprend les dynamiques raciales au sein de ce milieu de travail?

Qui peut nous former également sur ces sujets-là?

C’est pour ça que quand je dis qu’il faut être préparé,

il faut se préparer à toutes ces situations qui peuvent

aller extrêmement loin en termes de violence.

- Absolument.

Je voulais juste vous poser une dernière question.

Est-ce que vous pensez qu’une culture favorable et adaptée

aux besoins d’une main-d’œuvre diversifiée est possible?

Christiane, je vais commencer par vous.

- Oui, je dirais qu’on y arrive.

Je pense qu’il faut d’abord peut-être avoir un certain leadership.

La façon de diriger

une entreprise ou une organisation joue un grand rôle.

D’ailleurs, plusieurs chapitres dans Le futur

de la diversité soulignent ce fait.

Là, je suis d’accord avec une des autres

auteurs dans Le futur de la diversité, Katarzyna Hanula-Bobbitt,

qui met en avant que par la suite, par le futur,

on aura probablement une autre génération de dirigeants.

Elle dit que la génération Y, qui est aussi, des fois, appelée les milléniaux,

va transformer le concept de la diversité en le liant

beaucoup plus à l’inclusion de ce qu’on fait actuellement.

Pour ces personnes-là, la diversité consiste à travailler,

à collaborer avec des personnes de plusieurs horizons.

Probablement, à l’avenir, on aura

une autre façon de penser sur la diversité,

donc je pense qu’on peut aussi changer les cultures.

- D’accord. Jade, la même question.

Est-ce que, si vous vous projetez un peu vers l’avant,

vous pensez que cette culture favorable et adaptée

aux besoins d’une main-d’œuvre diversifiée sera possible?

- Elle dépend de la journée à laquelle on me pose la question.

Parce qu’en fonction de ce que j’ai vécu ou pas,

ça peut être plein de cynisme ou plein d’espoir.

Puis, j’ai tendance à espérer un futur anticapitaliste.

J’espère un futur où on ne sera plus obligé

de travailler à ce point.

Je dirais qu'il y a eu quelque chose de très intéressant, entre guillemets,

pendant la période Covid, avec les confinements et les accommodements

qui ont tout d'un coup été disponibles,

je pense qu'il y aurait beaucoup de choses à garder en tête,

ou du moins à maintenir en place.

Parce que cette période

nous a montré que le milieu du travail pouvait s'accommoder,

notamment s'accommoder aux besoins

de personnes qui étaient les plus à risque.

Le fait de travailler à distance, par exemple,

je rappelle que c'est une demande qui est faite

par les communautés de personnes en situation de handicap,

qui existe depuis des générations.

Ce sont des communautés qui demandent à pouvoir

travailler à distance et systématiquement, on leur répond: «C'est trop compliqué.

Ce n'est pas faisable.»

Ce qui crée une barrière supplémentaire à l'accès au travail,

parce que pouvoir avoir un accès à un espace public,

c'est une barrière en soi pour les personnes

qui ont des enjeux d'accessibilité.

Il y a cette barrière à l'espace de travail qui, aussi,

impacte les personnes racisées, parce que, je rappelle,

il y a des personnes racisées qui sont en situation de handicap.

On a ces communautés qui, depuis des années,

demandent à ce qu'on mette en place

la possibilité de faire un travail à distance, qui est toujours refusé.

Arrive Covid et tout d'un coup, là,

on a le monde entier qui accepte de travailler à distance parce

que les personnes non en situation de handicap en ont eu besoin.

C'est un peu cynique de se rendre compte qu'il

a fallu que la majorité en ait besoin pour que tout d'un coup,

ce soit possible et que ça bénéficie aux personnes en situation de handicap,

en termes d'accessibilité, également aux étudiants,

c'est quelque chose qui est très demandé par la communauté étudiante.

On voit comment, lorsqu'il y a un événement majeur,

ce qui était considéré comme impossible, tout d'un coup se met en place

en l'espace de quelques semaines et devient

même une norme.

Actuellement, on a des espaces

où plus de 50% sont des emplois qui restent à distance,

tout simplement parce que c'est juste plus accommodable

pour les personnes qui vivent très loin du centre-ville,

les personnes racisées notamment,

habitent rarement au centre-ville ou proches de leur emploi,

parce que la discrimination à l'embauche

fait qu'on a moins de moyens, bien sûr, la discrimination sur le logement

fait qu'il a aussi cette barrière et cette discrimination

lorsque vous venez d'un quartier défavorisé,

lorsque vous venez d'un quartier qui n'a pas un très bon réseau de transport,

ce qui est le cas de beaucoup de communautés racisées,

ce qui est aussi le cas à Montréal.

Ça crée une barrière dans le type d'emploi auquel vous pouvez postuler.

Le travail à distance a permis d'enlever ce type de barrières,

ou du moins de les diminuer.

Je suis partie dans un très long exemple pour montrer

qu'il y a quand même des révolutions qui se font en quelques semaines,

qui changent notre rapport au travail, qui ont des conséquences extrêmement

positives pour beaucoup d'entre nous.

Ça me donne de l'espoir,

parce que je me dis:

«Si on a pu en quelques semaines, quelques mois,

avoir ce shift au niveau de l'organisation du travail, qui a bénéficié à beaucoup,

et on parle maintenant d'avoir une revitalisation

de certaines campagnes ou certaines villes

parce que des personnes peuvent maintenant partir

plutôt que de rester au centre-ville,

retourner dans des lieux beaucoup plus isolés

et y travailler à distance,

j'ai de l'espoir qu'on peut avoir d'autres changements drastiques.»

Je suis d'accord avec l'exemple de la nouvelle génération.

Cette nouvelle génération me donne beaucoup d'espoir,

parce qu'elles ont un rapport au travail

qui est complètement différent, par exemple,

de la génération de mes parents, qui n'est pas: «Je vis pour le travail»

mais: «Je travaille juste pour pouvoir me permettre de payer mes passions,

et il y a certaines choses que je refuse de vivre.

Notamment, si je vis ce type de violence, je m'en vais.»

Je trouve qu'il y a un rapport de force, un rapport de pouvoir,

qui se renverse avec cette génération que je trouve

extrêmement vivifiante et que j'applaudis.

- C'est sur cette belle note d'espoir que nous allons nous quitter.

Christiane Kuptsch, Jade Almeida, merci pour cet éclairage sans complaisance

sur la discrimination raciale sur le lieu du travail.

Merci également aux éditeurs, aux éditrices,

qui nous ont rejoint pour cette édition spéciale des Voix au travail.

Ce podcast sera bien évidemment disponible en ligne.

Si vous souhaitez obtenir plus d'informations

sur la diversité et la discrimination raciale,

vous pouvez consulter notre site web à l'adresse voices.ilo.org.

J'espère évidemment vous retrouver très vite lors de notre prochain

épisode du podcast de l'OIT sur l'avenir du travail.

Merci, à très bientôt.

[musique]