-Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast de l'OIT
sur l'avenir du travail.
Je m'appelle Guebray Berhane et aujourd'hui,
nous allons aborder un volet méconnu de l'économie circulaire,
à savoir la symbiose industrielle.
Que représente-t-elle ?
Quel est son impact sur le monde du travail ?
Des questions que nous allons poser à Sabrina de Gobbi,
économiste à l'OIT, mais également rédactrice
et collaboratrice d'un nouvel ouvrage sur la symbiose industrielle.
Sabrina, bienvenue dans notre podcast.
-Merci Guebray.
Bonjour tout le monde.
-Est-ce que je peux vous demander de nous brosser
un rapide portrait de la symbiose industrielle ?
Qu'est-ce que c'est ?
En quoi est-ce que ça se distingue d'autres modèles économiques ?
-Bien sûr, volontiers.
La symbiose industrielle est une forme d'économie circulaire centrée
sur l'entreprise.
Selon ce modèle,
les déchets ou sous-produits d'une entreprise peuvent contribuer
au système productif d'une autre entreprise et tout ça
avec des bénéfices mutuels.
Pour mieux expliquer de quoi il s'agit,
je vais présenter un petit exemple tiré d'une étude qu'on a menée en Colombie.
C'est un réseau de symbiose industrielle avec trois membres,
trois entreprises.
Il y a deux entreprises agricoles
qui exportent des fleurs
et une entreprise manufacturière de plastique.
Les deux entreprises agricoles donnent à la troisième entreprise
des vieux panneaux en plastique
qu'elles utilisent pour les serres de leurs fleurs.
L'entreprise manufacturière recycle ou travaille les vieux panneaux
en plastique, c'est des déchets des autres entreprises,
et en produit de nouveaux panneaux en plastique qu'il va donner à la première
des deux entreprises agricoles.
Par contre,
elle paye le prix correspondant
pour les vieux panneaux en plastique qu'elle a reçus,
à la deuxième entreprise agricole.
Dans ces échanges, tout le monde a des bénéfices.
Les deux entreprises agricoles, d'abord, elles font des économies
parce qu'elles ne doivent pas payer les frais pour envoyer les déchets,
c'est-à-dire les vieux panneaux en plastique à la déchetterie,
premier.
Deuxièmement,
une des deux entreprises agricoles
en reçoit de nouveaux panneaux sans coût
et l'autre entreprise agricole reçoit un petit revenu pour ses déchets.
En plus, les deux entreprises agricoles récupèrent de l'espace
qui aurait été occupé inutilement pour des déchets,
les vieux panneaux en plastique et l'entreprise manufacturière,
quant à elle,
reçoit des contributions pour son système productif
à un prix plus bas
que si elle devait acheter ces contributions-là en matière premières
ou matériaux vierges.
-C'est tout ça qui fait qu'on appelle la symbiose industrielle.
Les recherches montrent aussi que cette symbiose
crée surtout des emplois dans les petites entreprises.
D'ailleurs, je vous propose d'écouter le témoignage de Florencia Clemente,
diplômée en technologie alimentaire industrielle.
Elle travaille dans une entreprise de l'ouest de Buenos Aires,
en Argentine,
qui fabrique de la poudre de fromage.
Elle est membre d'un réseau de symbiose industrielle
qui traite le lactosérum généré par les industries laitières de la région.
Florencia parle ici des emplois générés par les symbioses industrielles
dans sa région.
On écoute.
-Nous vivons dans une ville de près de 10 000 habitants
et cette industrie a permis à plusieurs personnes
qui n'avaient pas beaucoup de préparation, disons de connaissances préalables,
d'avoir un emploi.
Elles ont été formées,
instruites et ont eu la possibilité d'avoir des emplois décents
alors qu'elles avaient des types de travail plus rudimentaires
tels que le travail agricole avec des risques plus élevés.
Cela leur a permis de travailler
dans un environnement de travail plus convivial.
-Nous venons d'entendre Florencia
et son expérience de la symbiose industrielle
en Argentine.
Sabrina, qu'est-ce que cela vous inspire ?
-C'est juste.
La symbiose industrielle crée
la plupart des emplois
dans les petites et microentreprises.
Souvent,
les emplois qu'on crée dans ces entreprises-là
sont des emplois temporaires ou des fois informels.
Parce que dans la symbiose industrielle, c'est surtout dans les grandes entreprises
qu'on crée des emplois décents et formels,
mais grâce aux grandes entreprises
qui sont souvent socialement responsables,
on peut améliorer les conditions de travail
dans les emplois des petites et microentreprises.
Comment ?
À travers la formalisation.
Parce que les grandes entreprises, comme je le disais,
sont normalement socialement responsables, n'acceptent pas d'interagir
avec des unités informelles,
donc quand elles ont intérêt à que ces petites et microentreprises
rentrent dans leur réseau de symbiose industrielle,
elles leur imposent la formalisation.
C'est grâce à la formalisation de ces petites et microentreprises
que même les employés
améliorent leurs conditions de travail et acquièrent un statut formel.
-Vous soulignez aussi que la symbiose industrielle
nécessite peu d'investissement comparé à d'autres solutions écologiques.
Est-ce que ça en fait une option particulièrement intéressante,
peut-être pour les pays les plus pauvres ?
-Oui, tout à fait.
C'est correct.
En principe, on peut avoir la symbiose industrielle
avec peu d'investissement, surtout dans le secteur agricole,
qui est le secteur le plus important dans les pays pauvres,
justement.
Là, on a étudié le cas du modèle Songhaï au Bénin.
Là, c'est un réseau de symbiose industrielle
à zéro déchet où tous les matériaux sont recyclés d'une entreprise agricole
à une autre,
donc on n'a pratiquement pas de déchets.
Là,
il suffit très peu d'investissement.
Par contre,
normalement, on trouve la symbiose industrielle
dans les économies avancées
où les secteurs les plus importants
sont le secteur manufacturier, le secteur industriel en général.
Là, il faut des investissements assez importants,
surtout pour acheter des machines et de l'équipement
pour transformer les déchets ou les sous-produits
et les rendre compatibles
avec un autre système productif.
Évidemment que le secteur manufacturier, on le trouve même dans les pays pauvres.
Quand on a de la symbiose industrielle dans le secteur manufacturier
ou d'autres secteurs, même dans les pays pauvres,
même là, il faudra des investissements un peu plus importants
que dans le secteur agricole.
-On a vu aussi qu'en Amérique latine,
on assiste à des réseaux de simulation industrielle,
notamment au Mexique, en Argentine.
Qu'est-ce qui explique cet engouement dans cette région ?
Avant votre réponse,
nous allons écouter le témoignage de Carlos Rodrigo Romero,
qui est ingénieur chimiste spécialisé dans le développement durable,
consultant indépendant
et qui travaille dans la province de Santa Fe,
en Argentine.
Il nous explique comment la symbiose industrielle peut favoriser
la création d'entreprises vertes.
-Aujourd'hui, l'activité économique a totalement changé.
Le modèle économique a changé.
Malgré le fait qu'au niveau macroéconomique
dans le sens de ce que nous pouvons voir en tant que simples spectateurs,
il semble que cela ne nous touche pas.
Il existe de nombreuses opportunités dans nos communautés au niveau local,
pour le développement de nouvelles industries
axées sur une approche durable
où il n'y a pas de concurrence entre l'environnement,
la société et le modèle économique,
mais plutôt un modèle régénérateur
basé sur l'économie circulaire
qui encourage le développement
de l'activité et génère de véritables emplois.
C'est un bon outil pour trouver des solutions
sur l'ensemble du territoire, qu'il s'agisse d'une grande ville
ou d'une petite commune.
-Un témoignage à chaud de Carlos Rodrigo Romero
et son expérience de symbiose industrielle en Argentine.
Sabrina, qu'en pensez-vous ?
-Je trouve qu'il est important de souligner l'aspect
des trois dimensions de l'économie circulaire,
de la symbiose industrielle, c'est-à-dire le volet économique,
environnemental et social, notamment de l'emploi.
Je trouve que ce modèle de symbiose industrielle
se prête bien
au principe base du développement durable et surtout que la symbiose industrielle
soit très importante pour atteindre les objectifs de développement durable,
surtout l'objectif 8 sur le travail décent et l'objectif 12
sur les modèles de production et de consommation durables.
Pour revenir à la question antérieure sur la symbiose industrielle
en Amérique latine,
ce qui se passe en Amérique latine, c'est que probablement
dans cette région-là, on a bien compris l'importance
de la symbiose industrielle, même pour le développement durable.
Pendant les dernières années, dans plusieurs pays
on a adopté des politiques, des stratégies ou des plans nationaux
ciblant l'économie circulaire, y compris la symbiose industrielle.
Cela a vraiment produit un environnement propice
pour le développement de la symbiose industrielle.
Dans des politiques, notamment celles de Colombie,
on mentionne même
des incitations économiques ou fiscales pour les entreprises qui s'engagent
à la symbiose industrielle.
Ça, c'est très important
pour compenser les coûts supplémentaires de la symbiose industrielle,
notamment pour l'achat de machines et équipements pour la transformation
des déchets.
-Vous m'aviez aussi confié en aparté que cette symbiose industrielle était
un modèle qui a eu pas mal de succès en Europe,
en Amérique du Nord et en Asie, notamment en Chine et en Inde.
Quels sont d'après vous les principaux enseignements
que nous pouvons tirer
de ces projets, et quelles sont les bonnes pratiques
qui pourraient être peut-être répliquées ailleurs dans le monde ?
-Ce qui ne se passe pas encore dans les pays en voie de développement,
c'est que la symbiose industrielle dans les économies avancées disons,
ça se déroule dans des parcs industriels
où les entreprises sont très proches les unes des autres.
Ça permet encore des avantages
au niveau environnemental et économique surtout,
qu'on ne trouve pas encore dans les pays en voie de développement
où les entreprises ne sont pas en situation de proximité géographique.
Il y a des frais de transport par exemple, de la pollution
due au transport nécessaire pour déplacer les déchets,
les sous-produits d'une entreprise à une autre.
Une caractéristique qu'il faudrait développer un peu plus
dans les pays en voie de développement, c'est un cadre réglementaire
pour favoriser la création de parcs industriels
pour le développement de la symbiose industrielle
dans des conditions de proximité géographique
pour les entreprises.
-Message reçu
et c'est tout pour cette édition du podcast
sur l'avenir du travail.
Un grand merci à Sabrina de Gobbi, économiste à l'OIT,
pour cet éclairage pertinent sur la symbiose industrielle et la manière
dont elle peut contribuer à la création d'emplois décents.
Merci à vous aussi, chers auditeurs, chères auditrices,
pour votre temps et votre écoute.
Nous continuerons à dialoguer
sur les profondes mutations du monde du travail.
En attendant, vous pouvez toujours nous retrouver sur les réseaux sociaux,
notamment LinkedIn, X,
Instagram et TikTok, mais pour l'heure, je vous dis au revoir et à très bientôt.