[musique]
-Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode Des voix de l'OIT,
un podcast dans lequel nous parlons des problèmes
et des enjeux du monde du travail.
Aujourd'hui, nous allons parler de l'économie des soins
ou l'économie du care.
On estime que 380 millions de personnes dans le monde travaillent
dans le secteur des soins, 2/3 d'entre elles sont des femmes.
L'économie des soins est appelée à se développer,
car la demande est de plus en plus grande.
On parle entre autres de la garde d'enfants,
de l'aide aux personnes âgées ou aux personnes handicapées.
Le potentiel de création d'emplois est donc énorme,
mais il faut changer beaucoup de choses.
En juillet de cette année, les Nations Unies ont adopté
une résolution visant à créer une Journée internationale des soins
et de l'assistance.
Cette journée sera célébrée pour la première fois le 29 octobre.
Que peut-on faire pour améliorer la situation des travailleurs
du secteur des soins
et créer des systèmes d'accompagnement solides
et qui tiennent en compte les problématiques liées au genre,
handicap et à l'âge comme le préconise la nouvelle résolution des Nations Unies ?
Qu'est-ce qui doit changer ?
C'est ce que nous allons aborder dans notre podcast d'aujourd'hui
et nous allons parler avec Paola Simonetti,
qui est Directrice du Département de l'égalité
de la Confédération Syndicale Internationale.
Bonjour Paola, merci d'être avec nous.
-Bonjour Isabelle, et merci à vous de m'inviter
dans cette session très importante.
Je suis très contente d'être avec toi aujourd'hui.
Oui, effectivement,
cette année, le 29 octobre sera la première Journée internationale
des soins et de l'assistance qui reconnaît l'héritage
de la journée d'action pour les soins lancée
il y a quelques années déjà par les syndicats
afin d'accélérer l'économie des soins.
-Commençons par les choses basiques.
Lorsque nous parlons de travailleurs de l'économie des soins,
de qui parlons-nous exactement et quelles sont les tâches
qu'ils et elles accomplissent ?
-Quand on parle de l'économie des soins, on se réfère à trois secteurs principaux :
la santé, l'éducation et les services des soins.
Il y a une définition
portée par l'Organisation internationale du Travail,
qui reconnaît un large éventail des soignants formels,
rémunérés comme par exemple, les éducateurs de la petite enfance,
les travailleurs sociaux et les aidants prodiguant des soins aux malades,
aux personnes handicapées
et aux personnes âgées,
mais aussi le travail domestique rémunéré et non rémunéré est également reconnu.
Les travailleurs à la maison, au sein du foyer, sont aussi reconnus
comme faisant partie des travailleurs et travailleuses
des soins sans rétribution monétaire.
Des systèmes de soins performants sont essentiels pour faire
face à l'augmentation des populations, au vieillissement des sociétés
et aux besoins croissants générés par la demande accrue
des services de soins en général.
Ça, c'est la réalité aujourd'hui.
Investir dans les soins est devenu prioritaire pour nos sociétés,
car il est désormais reconnu que la santé, l'éducation et l'accueil des enfants,
des personnes handicapées et des personnes âgées
sont les fondements de notre résilience face aux chocs nationaux et mondiaux.
Comme on l'a vu avec la pandémie, mais surtout pour bâtir
des sociétés plus justes et plus inclusives,
qui permettent de vivre dans la dignité et aussi, comme nous disent
les Nations Unies, pour atteindre les Objectifs
de développement durable,
c'est un agenda effectivement global dans ce sens-là.
J'aimerais aussi rappeler une résolution récemment adoptée
par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
qui reconnaît les droits humains des aidants qui sont rémunérés ou non
et de ceux qui bénéficient des soins aussi.
Ce n'est pas
au hasard qu’on commence déjà à parler d'un droit aux soins.
Il y a déjà des pays où cela est encadré dans le cadre constitutionnel.
Pour cela, l'économie des soins est un pilier fondamental
d'un nouveau contrat social, comme préconisé
par le Mouvement syndical international.
Quand on parle qu'on veut que le gouvernement
se lance dans un nouveau contrat social, on voit l'économie des soins
comme un pilier fondamental dans ce contexte-là.
-Dans l’introduction,
j'ai parlé des défis auxquels l’économie des soins
est confrontée.
Comment voyez-vous ces défis se manifester parmi
les travailleurs du secteur des soins que vous représentez ?
-Il y a beaucoup de défis comme tu l'as dit, Isabelle.
Quand on est en manque de systèmes de soins solides
et suffisamment soutenus par des investissements,
les travailleurs de soins doivent souvent faire
face à des challenges énormes dans le secteur privé,
mais aussi dans le secteur public.
Par exemple, l'absence de protection sociale.
Je prends comme exemples les permis de congé, ou l'indemnité légale de maladie
ou le chômage,
donc toutes les protections
qui sont là pour protéger les travailleurs.
Certains travailleurs ne bénéficient pas de ces protections juridiques.
Par exemple,
parmi les travailleurs indépendants ou les travailleurs
dans l'économie informelle,
on a beaucoup de migrants par exemple là-dedans.
Des salaires très bas, des salaires inadéquats.
-Surtout pour des tâches qui sont très importantes ?
-Exactement.
Des salaires très bas, ça, ce sont des choses
que les travailleurs et les travailleuses de l'économie
des soins souvent
nous soulignent et qui sont souvent accompagnés
par le manque d'un appui au parcours professionnel.
Le manque de formation et aussi le manque d'équipement du personnel
se traduisent aussi par des graves problèmes de santé
et de sécurité au travail
dans la profession. Aussi,
le troisième défi, c'est les mauvaises conditions
en général de travail.
Comme je l'ai dit, la santé et sécurité, mais aussi le harcèlement.
C'est aussi quelque chose que les travailleurs et les travailleuses
doivent faire face dans ce sens-là.
On pense par exemple aux travailleuses domestiques
qui, au-delà du manque d'horaires, des emplois précaires,
elles doivent aussi souvent faire face à ce défi-là.
-Nous parlons de conditions de travail très précaires
pour un travail souvent avec des responsabilités importantes.
Quelles sont les actions et les politiques nécessaires
pour mieux préparer l'économie des soins à l'avenir,
qui va donc devenir de plus en plus importante ?
-Nous, en tant que mouvement syndical, on a trois demandes principales
pour le gouvernement.
Qu'il mette en place, premièrement, une augmentation
des investissements publics dans le secteur des soins,
les investissements publics dans l'économie des soins
en permettant de créer des millions d'emplois,
comme justement a souligné l'Organisation internationale du Travail,
pour favoriser la participation économique des femmes aussi et garantir
l'accès universel à des services publics de qualité
en matière de santé, des services de soins et de l'éducation.
Par exemple, on parle des services des soins aux enfants
qui sont indispensables pour les enfants,
bien sûr, mais aussi pour garantir
et permettre plus d'emplois pour les femmes et la création d'emplois.
Les services de soins de longue durée, par exemple,
sont aussi indispensables pour garantir le droit de vieillir
en bonne santé.
-Oui, surtout dans des sociétés qui vieillissent de plus
en plus longtemps.
Ça aussi, c'est très important. -Exactement.
Si on parle à l'échelle mondiale, par exemple,
il y a seulement une petite partie des pays qui prévoient la prestation
des services publics des soins de longue durée
pour les personnes âgées.
Il y a encore du chemin à faire là-dedans.
La deuxième demande qu'on a, c'est sûrement l'adoption
des politiques
en matière des soins.
On parle des politiques du marché de travail inclusives.
On parle des politiques favorables à la famille sur le lieu de travail et,
comme j'ai dit tout à l'heure, d'une protection sociale universelle.
Ici, on parle des congés maternité, des congés paternité pour permettre
aux hommes d'assumer les responsabilités.
-Leur rôle, absolument.
-Leur rôle en matière de soins, des congés parentaux,
tous ces droits qui contribuent à établir un équilibre
entre les responsabilités professionnelles et familiales des mères et des pères
au cours de la vie.
Troisième pilier fondamental, un travail décent
pour tous les personnels des soins.
Ce qu'on dit toujours, c'est qu'on ne pourrait jamais avoir
des services de soins de qualité si les travailleurs,
les travailleuses n'ont pas des conditions décentes
de travail eux-mêmes et elles-mêmes.
Les emplois liés aux soins doivent être
des emplois formels qui bénéficient des conditions de travail sûres,
d'une rémunération suffisante comme on l'a dit tout à l'heure,
et aussi en incluant un salaire égal pour un travail de valeur égale entre
les hommes et les femmes.
-Paola, pouvez-vous nous donner quelques exemples
de pays ou de politiques mises en place
pour reconnaître et valoriser le travail de soins rémunéré
et les travailleurs des soins en tant que travailleurs essentiels,
comme le demande justement la nouvelle résolution de l'ONU ?
-Je peux vous donner quelques exemples Isabelle.
Par exemple,
dans le domaine du travail décent, en République dominicaine,
les syndicats ont fait pression en faveur d'une amélioration
des conditions de travail,
spécialement pour les personnels domestiques.
Finalement, le gouvernement a lancé un projet pilote
pour formaliser les services de soins à domicile,
qui étaient en majorité informels, pour permettre
à ces travailleuses d'avoir
un salaire minimum et aussi pour bénéficier de la Sécurité sociale.
Ce sont des choses basiques, mais très fondamentales
pour assurer le travail décent et les conditions de travail.
En Afrique du Sud, la même chose aussi, les syndicats sont en train de travailler
avec le gouvernement pour obtenir un salaire minimum,
mais aussi des congés payés
et une indemnisation en cas d'accident du travail,
qui aussi est fondamental.
Pour ce qui concerne la mise en place des politiques,
je peux rappeler que par exemple,
grâce aussi à la directive de l'Union européenne
sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée,
il y a beaucoup de pays en Europe maintenant
qui sont à l'avant-garde.
Les syndicats
ont travaillé avec leur gouvernement dans ce sens-là.
Finalement, investir dans l'économie de soins comme on l'a dit,
c'est notre #investingcare pour l'investissement dans les soins.
Je me souviens par exemple de l'expérience des syndicats
au Canada où ils ont gagné finalement un système national de garderie.
Maintenant, ils ont gagné des structures d'éducation préscolaire
et des gardes d'enfants aussi qui sont presque universelles.
Un autre exemple qui me vient à l'esprit,
c'est aussi le syndicat en Inde,
le Syndicat national des travailleuses indépendantes, le SEWA,
qui depuis des années gère des gardes d'enfants,
ce sont des coopératives, et qui est maintenant
en train de demander et de s'engager avec le gouvernement pour instaurer
un système national durable universel de garderie de qualité.
Ce sont tous des exemples.
Il y en a plusieurs, mais juste pour décrire
avec des exemples concrets comment on peut avancer
vers une économie de soins solide et durable.
-Il y a des choses qui peuvent être faites.
J'aimerais aussi parler plus en détail de l'inégalité croissante
entre les hommes et les femmes
que nous constatons dans le secteurs des soins,
puisque si la majorité des travailleurs du secteur
sont des femmes et que l'économie des soins est en crise,
cela signifie que les femmes
sont les plus vulnérables
et assument une plus grande part des défis.
Quelles sont les solutions à ce problème
qui concerne en particulier les femmes ?
-Il y a encore une répartition
qui n'est pas juste
du travail de soins non rémunéré, qui est effectivement effectué à 70 % par des femmes.
Cela perpétue les écarts entre les hommes et les femmes en termes de participation
au marché du travail,
qui s'élève globalement à 27 %.
C'est toujours très haut.
Encore une fois, un investissement public dans les soins
peut réduire cet écart et peut réduire cet obstacle à la participation des femmes
sur le marché du travail.
Il peut aider pour que les femmes gagnent l'indépendance économique
et aussi rééquilibrer l'écart entre les sexes
en matière d'emplois, mais aussi des rémunérations
et des protections sociales.
Je voudrais souligner ce chiffre
parce que je pense qu'il est très important de
réaliser que l'investissement
dans les soins
peut créer
la potentialité des créations d'emplois directs,
mais aussi indirects.
L'Organisation internationale du Travail parle de 299 millions d'emplois
à l'horizon 2035.
-C'est énorme. -C'est énorme.
Le potentiel est énorme et dans ces chiffres-là,
67 millions d'emplois indirects dans les secteurs autres que les soins.
C'est une portion
qui à mon avis est importante de réaliser
pour que ce soit bien clair que l'investissement
c'est direct dans la création d'emplois, mais aussi indirect.
C'est très important.
-Pour que cette économie des soins soit vraiment importante, il faut
comme vous le disiez avant que ce soit plus inclusif, plus résilient,
plus égalitaire du point de vue du genre.
-Oui, exactement.
Les investissements publics dans les services de soins aussi sont
d'une importance capitale.
Pour surmonter les inégalités,
favoriser l'inclusion sociale et aussi l'inclusion des groupes
les plus marginalisés.
Pour faire tout ça et pour avancer
dans cet agenda qui est fondamental,
nous les syndicats,
on demande de s'appuyer sur un dialogue social au niveau national,
mais aussi au niveau global avec les pouvoirs publics, les employeurs
et les travailleurs
pour avoir un monde du travail plus inclusif,
résilient et surtout plus égalitaire du point de vue du genre.
-Merci beaucoup Paola pour nous avoir parlé aujourd'hui
de l'économie des soins.
Nous avons donc parlé avec Paola Simonetti,
Directrice du Département de l'égalité
à la Confédération syndicale internationale.
C'est la fin de notre podcast.
Nous continuerons à parler des changements dans le monde du travail.
Pour l'instant, c'est au revoir et à très bientôt pour un autre épisode
des Voix de l'OIT.