[musique]
-Bonjour et merci de nous rejoindre dans ce nouvel épisode du podcast de l'OIT
sur l'avenir du travail.
Je m'appelle Guebray Berhane.
Aujourd'hui, nous allons nous consacrer au changement climatique et à la sécurité
et à la santé au travail.
Depuis plusieurs années, nous assistons à des vagues de chaleur sans précédent,
de fortes précipitations, des incendies de forêt,
des sécheresses et même des cyclones tropicaux.
Ces phénomènes ont de graves effets sur la sécurité et la santé
des travailleurs qui sont les premières personnes exposées
à ces dangers.
Chaque année, plus de 2,4 milliards de travailleurs
sont exposés à une chaleur excessive sur leur lieu de travail
et plus d'1,6 milliard le sont également aux rayons ultraviolets.
Cette situation ne fera qu'empirer.
Beaucoup succombent à des maladies mortelles
comme les cancers, les maladies cardiovasculaires
ou contractent des maladies chroniques incapacitantes
et des handicaps.
Alors, que faire ?
Pour évoquer les défis, mais aussi les solutions concrètes,
nous avons le plaisir d'accueillir Manal Azzi,
cheffe d'équipe pour la sécurité
et la santé au travail à l'OIT,
et le docteur Aida Lamloum,
spécialiste de la sécurité et de la santé au travail à l'OIT
pour les pays d'Afrique du Nord et de la Corne de l'Afrique.
Aida, Manal, bienvenue à ce podcast de l'OIT.
Merci de prendre part à ce podcast.
Pour entamer cette conversation, j'aimerais
que nous écoutions deux auditeurs du Mexique :
Alejo, un ouvrier agricole qui travaille dans une serre,
et Eduardo, un employeur agricole.
Les fermes dans lesquelles ils travaillent font partie d'un projet,
Vision Zero Fund, de l'OIT qui mesure le stress thermique
chez les travailleurs agricoles.
L'objectif de ce projet est d'analyser le lien
entre le changement climatique,
la hausse des températures et la sécurité, et la santé au travail.
Écoutons ce qu'ils ont à dire sur l'impact de la chaleur
sur leur travail.
-Hier, j'étais bien décidé à travailler sans relâche.
Tout d'un coup, mon corps n'en pouvait plus.
J'ai commencé à ressortir des palpitations.
J'ai alors décidé de ne pas en faire plus et de faire ce que j'avais prévu.
Je suis allé boire un verre d'eau et peu à peu,
j'ai commencé à récupérer.
Cela provoque un malaise, comme un coup de chaleur.
Une sensation similaire à celle que l'on ressent
lors d'un coup de chaleur, comme si vos pieds
commençaient à perdre leur force.
-Le changement climatique est un sujet très important.
Si l'on regarde l'année dernière, on peut dire que le phénomène
a été significatif.
Il y a un impact important sur la chaleur qui ne cesse d'augmenter parce qu'ici,
quand il fait trop chaud, c'est pendant la saison des pluies.
Les pluies ont duré pratiquement 1 mois.
Pendant tout le mois où la température était censée baisser,
elle a augmenté un peu plus.
De ce fait, les nuisibles sont plus nombreux.
Les gens ne sont pas aussi productifs en raison d'une plus grande usure physique
que ce qui avait été prévu.
-Manal, votre réaction à chaud sur les propos d'Alejo et d'Eduardo.
J'ai aussi cité des chiffres plutôt ahurissants
un peu plus tôt.
Quelle est l'ampleur du défi du stress thermique
sur le lieu du travail ?
-Merci beaucoup, Guebray.
C'est vrai que les témoignages d'Alejo et d'Eduardo
nous rappellent que le changement climatique
est un problème qui est déjà là.
C'est un problème qui a des répercussions profondes
sur les travailleurs aujourd'hui, partout, comme Alejo et comme Eduardo,
parce que souvent, on nous demande : « Pourquoi c'est un problème au travail ?
Pourquoi c'est un problème de santé ? »
Voilà le problème, comme vous avez cité tout au début,
qu'on parle des milliards de travailleurs exposés.
On parle d'une hausse de 35 % entre 2000 et 2020 des travailleurs
qui sont exposés surtout à cette chaleur excessive.
On a aujourd'hui presque 19 000 décès liés au travail
et 22 millions d'accidents du travail qui sont directement liés à l'exposition
à une chaleur excessive au travail.
Ça, c'est sans parler des maladies chroniques
comme l'insuffisance rénale chronique qui est liée à cette exposition,
à une chaleur excessive.
On parle de plus de 26 millions de personnes
qui vivent avec cette insuffisance rénale chronique.
C'est un vrai problème actuel qui touche beaucoup de secteurs
et beaucoup de travailleurs dans le monde.
-D'accord. Aida,
pour vous, quels sont les principaux problèmes de santé
que les travailleurs rencontrent à cause du changement climatique ?
On vient de parler de secteurs.
Quels sont les secteurs qui sont les plus touchés et pourquoi ?
-Merci beaucoup, Guebray.
Alors, je vais peut-être commencer par les secteurs.
C'est tout simplement les secteurs qui travaillent à l'extérieur.
Comme l'agriculture,
on peut citer la construction, les transports communs,
mais pas que.
Toutes les tâches travaillées qui se font à l'extérieur sont les plus exposantes.
Aussi, quelques tâches qui se font à l'intérieur aussi de locaux
qui sont confinés, mal ventilés, peuvent aussi renforcer
l'effet du stress thermique, notamment.
Justement, les effets sur la santé
peuvent varier de la nature de l'exposition.
Le changement climatique expose les travailleurs
au stress thermique,
mais aussi au rayonnement ultraviolet solaire,
à la pollution de l'air, aux maladies transmissibles vectorielles
et l'impact sur la santé dépendra de cette exposition.
Par exemple, comme a dit Manal, pour la chaleur excessive,
on peut avoir des manifestations aiguës comme le coup de chaleur ou l'épuisement
dû à la chaleur ou la rhabdomyolyse qui est une dégradation musculaire.
On peut avoir aussi des manifestations chroniques
qui vont de l'éruption sudorale vers les maladies cardiovasculaires,
l'atteinte rénale, que ce soit aiguë ou chronique.
Les rayonnements ultraviolets solaires sont connus pour provoquer
des cancers de la peau non-mélanome.
On a noté que 1,6 milliard de travailleurs sont exposés chaque année
au rayonnement ultraviolet,
ce qui notifie l'importance de cette exposition.
Pour la pollution aussi,
elle peut être suivie de l'apparition de cancer de la peau,
mais aussi d'accidents vasculaires cérébraux
et maladies respiratoires.
Tout ça pour dire que chaque exposition au changement climatique pourrait avoir
un impact sur la santé des travailleurs,
ceci indépendamment de leur profil de santé.
-D'accord.
Vous venez juste de parler justement de ces changements climatiques.
On a une évolution de ces dangers climatiques.
Pourquoi est-ce qu'il serait important de réévaluer
notre législation actuelle ou de créer de nouvelles réglementations ?
Manal, est-ce que vous pouvez nous donner
des exemples de politiques efficaces, par exemple ?
-Oui, bien sûr.
Il faut toujours rappeler que les dangers exacerbés
par le changement climatique ne sont pas nouveaux.
La chaleur était toujours là,
on travaillait à l'extérieur dans des conditions,
parfois, qui nous mettent beaucoup en danger.
Les lois existaient déjà sur la santé et sécurité qui avaient des provisions
sur ces sujets,
mais vu ce changement et l'accélération de l'exposition
à ces dangers incluent la chaleur excessive,
on est obligé d'adapter certaines mesures
et vraiment être beaucoup plus spécifique sur les règlements :
assurer une ventilation adéquate,
prévoir des pauses pour les travailleurs, fournir des informations adéquates,
fournir bien sûr aussi des équipements de protection individuelle,
entre autres.
Tous les dangers liés au changement climatique
sont en train de s'intensifier.
On doit réviser la législation qui existe pour élaborer
des nouvelles réglementations sur ce sujet
et vraiment évaluer les risques qui sont posés,
qui ne sont pas nécessairement exactement
les risques traditionnels qu'on est habitué de régler.
Par exemple, il faut adopter des limites d'exposition professionnelle
concernant les températures maximales du travail
ou limitant l'exposition aux polluants atmosphériques.
On a bien compris que ce n'est pas seulement
la chaleur excessive, mais c'est aussi tous les polluants,
les UV, ultraviolet radiation, rayonnement,
et tous ces différents dangers
qui se mettent
avec le changement climatique qui se sont exacerbés.
Il faut aussi prévoir
en matière de santé sécurité, surtout prévoir
une surveillance médicale régulière
à titre préventif pour reconnaître les maladies associées
à la chaleur et à tous les autres problèmes
de pollution d'air ou la transmission vectorielle,
comme elle a mentionné, Aida.
Cette exposition extrême aux produits agrochimiques maintenant,
parce que les saisons changent, l'agriculture,
à cause du changement climatique, est en train de changer.
Il y a beaucoup plus d'utilisation de ces produits agrochimiques
et il faut encore protéger les travailleurs de cela.
Aussi, conformément à la recommandation de l'OIT
sur la liste des maladies professionnelles,
certains pays sont déjà
en train d'intégrer dans leur liste nationale
des maladies professionnelles, les maladies liées à la chaleur,
celles causées aussi par le rayonnement UV solaire,
celles provoquées par les dangers biologiques ou troubles
qui sont liées à cette augmentation d'utilisation des pesticides.
-Parlons un peu maintenant des travailleurs vulnérables,
comme les ouvriers agricoles et ceux qui travaillent en extérieur.
Aida, quels types de mesure de protection sont nécessaires ?
Surtout, comment ces mesures peuvent-elles être mises en place de manière efficace ?
-Merci beaucoup.
Pour la protection et la prévention d'une façon générale,
nous aurons besoin, évidemment, et tous les pays
auront besoin, de directives techniques qui permettent d'orienter
sur comment prévenir, entre autres, le stress thermique et comment assurer
la sécurité des travailleurs.
Ces directives nous donnent l'approche selon laquelle
on peut implémenter la culture de la prévention
contre les risques liés au changement climatique.
Il faut dire qu'il faut associer ça à toutes les démarches
qui pourraient être entreprises par la santé publique.
On peut citer dans quelques pays
les démarches qu'ont implémentées les ministères de santé publique
pour la prévention,
par exemple, du cancer de la peau à travers la détection,
le diagnostic et la prise en charge précoce.
Ça, c'est pour prévenir l'impact ultime, à savoir la mortalité
due à ce type de cancer.
Concrètement, pour réduire
cette exposition, nous aurons besoin
d'une hiérarchie de contrôle.
Cette hiérarchie passe par plusieurs étapes.
La première des étapes est l'élimination du risque.
L'exemple, c'est de faire déplacer le travail
dans des zones où la qualité de l'air est meilleure qu'à l'extérieur.
Aussi, essayer en seconde étape de substituer,
notamment pour les agriculteurs et les travailleurs agricoles,
de remplacer les pesticides par un produit moins dangereux.
Le troisième niveau,
c'est le contrôle technique, comme par exemple la mise
en place de systèmes de refroidissement et de purification d'air
dans les espaces confinés.
Quatrièmement, et ça,
c'est une mesure très, très importante qui est
une mesure de contrôle administratif,
c'est faire évoluer les méthodes de travail
et les process ou procédures conçues pour minimiser le risque,
à savoir promouvoir la rotation du personnel,
augmenter la fréquence du temps de pause et de repos.
Réduire l'intensité physique du travail, aménager aussi des zones de repos
pour les travailleurs ou reprogrammer les tâches chaque fois
que c'est possible.
En dernier lieu, et vraiment en dernier lieu,
fournir les équipements de protection individuelle,
par exemple, l'utilisation de vêtements adaptés de protection ou de masques
pour la protection respiratoire.
-D'accord.
On pourrait penser que ça, c'est quelque chose qui coûte
énormément d'argent, et cetera.
Manal, je suis tenté de vous demander comment est-ce que les gouvernements
et les partenaires sociaux
peuvent collaborer pour atténuer les effets du changement climatique
sur les travailleurs, s'il y a des stratégies pour renforcer
cette coopération, par exemple.
-Oui.
On a bien vu que c'est essentiel.
D'ailleurs, le dialogue social est essentiel pour répondre
à ces problèmes complexes.
Dans de nombreux cas, les dangers et les risques liés
au changement climatique ont été identifiés comme des priorités
dans les politiques et les stratégies nationales,
surtout les stratégies en matière de santé et sécurité des travailleurs.
Celles-ci peuvent,
par exemple, définir très clairement les actions et les initiatives à mettre
en œuvre dans les années à venir.
Dans certains pays, on a vu, il y a déjà des conventions collectives
qui définissent des mesures supplémentaires,
parce que parfois, ce n'est pas suffisant d'avoir
ce qu'on a dans les règles et parfois ça prend tellement de temps,
on a besoin de ce dialogue social pour avoir ces conventions collectives
qui peuvent rajouter
ces besoins supplémentaires, surtout non seulement
pour la chaleur excessive, mais comment régler
et comment réagir,
prévenir et anticiper ces phénomènes météorologiques extrêmes,
comme on voit avec le changement climatique,
et la pollution,
et comment gérer cette utilisation des produits
agrochimiques qui augmente.
Ces accords, on voit, ils ont bien amélioré
la protection et la sécurité des travailleurs
dans des différents secteurs.
Parfois, beaucoup de ces conventions collectives
sont négociées au niveau sectoriel.
On voit que dans des différents secteurs
comme la construction,
l'agriculture, le transport, il y a encore un effort fait
qui est encore plus présent pour pouvoir s'adapter
et prévenir les différents impacts
qui sont liés à la santé et liés
au changement climatique.
-C'est une question que je pose à toutes les deux,
si vous deviez résumer en une phrase l'action
et les recommandations de l'OIT pour assurer la sécurité et la santé
au travail à l'heure du changement climatique,
quelle serait cette phrase ?
Aida, je commence avec vous.
-Je partirais sur un slogan qui est « Œuvrons ensemble
pour une meilleure protection contre les changements climatiques
des travailleurs,
y compris les plus vulnérables ».
-Manal, à vous.
-Oui.
Je dirais, c'est le temps et l'action qui est nécessaire tout de suite,
je dirais le temps nous est compté, le changement est en cours
et les travailleurs en subissent les conséquences maintenant.
Ce n'est pas demain, c'est maintenant.
Alors, nous devons agir et utiliser les outils dont nous disposons
tout en nous associant à la santé publique,
je crois.
Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire seul.
À la santé publique et à la santé environnementale
pour atteindre nos objectifs communs.
-Manal Azzi, Aida Lamloum, merci.
Merci beaucoup pour votre expertise, pour vos solutions concrètes
et les recommandations à suivre.
Nous avons énormément appris sur notamment l'impact
du changement climatique
sur les milliards de travailleurs victimes de ces températures extrêmes,
la pollution de l'air et du danger que cela représente pour leur santé.
Merci encore à toutes et à tous de nous avoir rejoints sur ce podcast.
Si vous souhaitez plus d'informations sur la sécurité et la santé au travail
à l'heure du changement climatique, consultez notre site web
à l'adresse voices.ilo.org
et j'espère que vous nous rejoindrez à nouveau lors du prochain épisode
du podcast de l'OIT sur l'avenir du travail.
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